13 déc. 2020

Anne Serre

Lauréate du prix Goncourt de la nouvelle en 2020, Anne Serre mérite une plus grande reconnaissance. Ses écrits font bouger les lignes. Etonnement garanti. C'est le cas avec ce court récit de 2012 : Petite table, sois mise ! Ce titre fait allusion à un conte de Grimm. Ce texte peut effectivement se lire comme un conte, où il est question d'inceste et de pédophilie sans que jamais ces termes soient employés. Dans l'extrait suivant, la narratrice évoque ses souvenirs d'enfance avec papa, maman et ses deux soeurs Ingrid et Chloé.

 

 

On peut dire que Pierre Peloup fut mon premier amant - après papa - car le docteur Mars, s'il aimait nous toucher, ne s'introduisit en nous que plus tard. Il goûtait notre présence lorsqu'il saillait maman. Il aimait que nous soyons là, Ingrid, Chloé et moi, ou parfois , l'une d'entre nous seulement, dans la salle à manger à la grande table cirée, mais un peu comme de petits anges nus autour d'une Vierge en gloire (maman figurant la Vierge). Nous assistions donc à leurs ébats - souvent rapides car le docteur Mars était toujours pressé entre deux de ses visites à des malades - , assises dans un fauteuil, sous la table lorsqu'il le désirait, l'aidant d'une main s'il avait ce jour-là quelque difficulté - ce qui était rare. Il nous arrivait de lui tendre nos fesses, nos sexes ou de lui présenter nos bouches, mais il y passait ses propres mains, sa propre bouche ou son propre sexe très rapidement.

29 mai 2020

Gore Vidal

Gore Vidal fut une figure engagée et importante de la vie intellectuelle américaine dans la seconde moitié du XXème siècle. Ses livres mériteraient une meilleure reconnaissance en France. En 1983, il publie Duluth, un roman quelque peu expérimental dans lequel il mélange avec virtuosité plusieurs niveaux de fiction. Dans la scène suivante, la policière nymphomane Darlene est tombée dans un guet-apens tendu par trois vilains Mexicains de petite taille et elle subit leur colère vengeresse.


A l'intérieur, c'est allé de Charybde en Scylla pour Darlene. La parti viol a été assez rasoir, mais pas si terrible. Pendant une minute ou deux, elle a eu l'impression d'être piquée par des crayons pointus. Résultat : elle a les nerfs à vif parce qu'elle est toute frustrée, et aussi parce qu'elle a la trouille. Pablo a mis à peu près dix-huit secondes pour éjaculer; les deux autres ne sont guère restés en selle plus longtemps.
Mais ensuite, ces gloutons ont voulu remettre cela. Darlene a alors dû se livrer à la fellation sur les trois, ce qui leur a pris quelques secondes de plus que pour le viol vaginal. Ils ont beau être minuscules, ils n'en sont pas moins virils, songe Darlene. Mais même, elle commence à s'irriter. Ce n'est que lorsque le troisième violeur, Jésus, sort de sa bouche et que la chevelure blonde ravissante de Darlene prend tout le bénéfice de sa virilité (et dire que ce matin même, elle s'est fait coiffer comme la princesse de Galles !) qu'elle se dit : ça commence à bien faire!

22 sept. 2019

Nicolas Mathieu

Nicolas Mathieu a obtenu la récompense du Goncourt en 2018 avec son roman leurs enfants après eux, qui renouvelle le naturalisme social à la Zola. On y suit sur plusieurs années la vie d'un jeune garçon, Anthony, y compris dans ses aspects sexuels. Ici, il retrouve Vanessa qui ne demande que ça.


Alors quand elle retrouvait Anthony, elle voulait qu'on s'occupe d'elle. Elle voulait être prise, tenue et baisée. Elle voulait avoir un peu mal, ça lui changeait les idées. Et même si elle avait un copain gentil à la fac, qui s'appelait Christopher et voulait tenter le concours de Sciences-Po, ça n'avait rien à voir. Anthony, elle l'avait dressé selon ses besoins. Il procédait en conséquence. Il n'en parlait à personne. Elle l'adorait au fond. Il écarta sa culotte et elle sut qu'il allait venir dans sa chatte, la remplir. Elle dégoulinait. Il faisait tellement chaud. Elle ne pensait plus à rien. Elle dit :
- Mets-moi ta queue.
- Attends...
- Baise-moi, allez...
- Attends, je te dis.
Il s'était agenouillé derrière elle et la mordait, son cul, le gras des cuisses. Des frissons lui remontaient partout dans le dos, elle se mit à trembler. Puis sentant le souffle du garçon sur son sexe, elle se cabra.
- Non, pas ça.
- Pourquoi ?
- Arrête. Il fait chaud. Y a pas de salle de bains, ici.
- Et alors ?
- Arrête, c'est tout.
Trop tard. La langue d'Anthony avait trouvé le velours de sa chatte. Il suivait un pli, remontait l'aine, goûtait sa sueur, le jus suret et tellement intérieur. Elle se sentit fléchir et oublie de le dissuader. Il la tenait aux hanches, ferme, écartait ses fesses, lui prenait les cuisses. Tout ce qu'elle aimait. Elle se mit à geindre pour de bon. Anthony empoigna ses cheveux. Elle se cambra, le cherchant avec son bassin. La queue du garçon était là, gonflée, pressée à l'orée de son sexe.

31 juil. 2019

Dennis Lehane

Les romans de Dennis Lehane sont noirs et ont pour cadre Boston. Prières pour la pluie, publié en France en 1999, fait partie de la série des Kenzie et Gennaro, du nom du couple de détectives à la manoeuvre face au mal. Dans la scène suivante, Pat Kenzie, installé à la terrasse d'un café, vient de prendre un verre avec une charmante avocate et il reçoit alors sur son portable un appel du psychopathe qu'il pourchasse.


J'ai de nouveau pivoté pour scruter le trottoir, essayant de repérer avec un téléphone portable.
Il a repris la parole de cette douce voix monocorde que j'avais entendue sur la terrasse quand il avait voulu prendre la chaise.
- Elle a des lèvres incroyables, cette avocate. Vraiment incroyables. Je ne pense pas qu'elles soient siliconées. Et toi ?
- C'est vrai, ai-je répondu en examinant toujours les alentours. Elle a une belle bouche. Mais je t'en prie, approche, la chaise est libre.
- Et quand elle te demande de fourrer ta queue entre ses jolies lèvres, Pat - bon sang, c'est elle qui le demande ! - tu dis non ? Mais enfin , qu'est ce qui cloche chez toi, mon pote ? T'es gay ?
- C'est ça. Viens donc me casser la gueule, pour la peine. Tu te serviras de cette foutue chaise.
J'ai plissé les yeux pour essayer de mieux voir les deux côtés de la rue à travers la pluie.
- En plus, elle a réglé l'addition. (Sa voix résonnait comme un murmure dans une pièce obscure.) Elle a payé, elle voulait te tailler une pipe, elle est belle comme six ou sept millions de dollars - O;K., elle a des faux seins, mais des faux seins fantastiques, et puis personne n'est parfait, hein ? - et toi, tu refuses. Chapeau, mon vieux. T'en as plus que moi !
Un homme coiffé d'une casquette de base-ball et protégé par un parapluie s'avançait vers moi sous le crachin, la démarche souple et pleine d'assurance, un mobile collé à l'oreille.
- A mon avis, c'est le genre à crier. Je me trompe, Pat? Des "Oh, mon Dieu" et des "Plus fort, plus fort" à n'en plus finir.
Je n'ai pas répondu. L'homme à la casquette de base-ball était encore trop loin pour que je puisse distinguer son visage, mais il se rapprochait.
- Tu permets que je sois sincère avec toi, Pat ? Une petite bombe comme elle, c'est tellement rare que si j'étais à ta place - je ne le suis pas, je le sais, mais c'est juste une hypothèse - , je me sentirais obligé de retourner avec elle dans cet appartement sur Exeter, et très franchement, je le baiserais jusqu'au sang.
Une sensation de froid glacial sans rapport avec la pluie m'a parcouru l'échine.

Jean-Philippe Toussaint

Jean-Philippe Toussaint est un écrivain singulier et probablement majeur dans le paysage littéraire de langue française. En 2005, il reçoit le prix Médicis pour son roman Fuir, qui fait partie du cycle de Marie. Marie, anagramme d'aimer, est la compagne du narrateur qui la rejoint ici dans une chambre d'hôtel. Un peu avant ont eu lieu les obsèques du père de Marie.


Elle ne bougea pas lorsque j'ouvris la porte, étendue sur le lit, la chemise ouverte sur son ventre nue. Les volets de la porte-fenêtre étaient mi-clos, qui laissaient pénétrer une douce pénombre dans la pièce. Je rejoignis Maris sur le lit, et je l'embrassai, l'immobilité de sa douleur, le silence, les premières caresses, timides, prudentes, inachevées, et d'un seul coup urgentes, désordonnées, quelque chose de dingue dans ses yeux, un désir de plus en plus intense, sa façon de me caresser le sexe, de le pétrir avec la main, d'ouvrir mon pantalon et de le baisser sans ménagement, avec une certaine sauvagerie, de me branler n'importe comment, avec hargne, ténacité, les lèvres serrées, on eût dit pour me faire mal, puis de se recroqueviller sur moi et de me caresser le sexe avec la langue, non pas avec tendresse comme d'habitude, avec douceur, mais d'une façon désordonnée, brouillonne, comme bravant un dégoût, un interdit, et n'insistant même pas, me laissant assez vite en plan sur le lit, et se recouchant sur le dos pour que je la caresse à mon tour, descendant simplement son pantalon le long de ses cuisses, avec la même impatience brouillonne, avec la même absence de douceur, et je me rendis compte qu'elle ne portait rien en dessous, qu'elle n'avait pas de sous-vêtement, son sexe était nu devant moi, et elle me prit la main et m'entraîna sur elle. Je l'aimais et je savais que je ne pouvais rien pour elle, que c'était impossible de s'aimer maintenant, de prendre du plaisir et de le rechercher, elle savait aussi bien que moi que nous ne pouvions pas nous aimer maintenant, je m'étais allongé sur elle et je l'étreignais, j'embrassais son corps nu dans la pénombre, tendrement, doucement, je passais la main sur ses joues pour l'apaiser, je caressais son ventre et ses seins avec la langue, je ne sais pas si elle avait nagé aujourd'hui, mais sa peau avait un goût d'eau de mer, de légère transpiration et d'odeur de maquis, de chaleur et de sel, la peau de son ventre était douce, la peau de ses cuisses était chaude, lisse, brûlante, elle gémissait, je lui caressais le sexe avec la langue, l'intérieur de son sexe humide et étonnamment frais, qui avait une saveur d'iode, quelque chose de marin, je lui passais doucement la main sur les hanches, j'avais fermé les yeux et je continuais de lui caresser le sexe avec la langue, quand, dans je ne sais quel geste d'impatience ou d'exaspération, de désespoir ou d'accablement - ou dans la soudaine et définitive prise de conscience qu'il était impossible de s'aimer maintenant -, soulevant brutalement le bassin pour se dégager, elle me repoussa au loin d'un mouvement excédé et torsadé du corps en me donnant, de toutes ses forces et pour me rejeter, un coup de chatte dans la gueule.

17 avr. 2019

Emmanuelle Bayamack-Tam

Arcadie, le roman transgenre et utopique d'Emmanuelle Bayamack-Tam publié à la rentrée 2018 a retenu l'attention de la critique. Farah a grandi dans une communauté libertaire, écolo et libertine éclairée par la sagesse d'Arcady. Farah est anatomiquement parlant quelque part entre la fille et le garçon. Dans l'extrait suivant, elle retrouve Arcady quelque temps après avoir quitté la communauté.


C'est la première fois que je baise dans une voiture mais l'idée m'emballe et je m'empresse de défaire la ceinture d'Arcady pour le prendre dans ma bouche. Au moment où sa verge touche mon palais, je me sens traversée d'une joie puissante, un plaisir délicieux qui me dépasse infiniment, une réalité devant laquelle toutes les autres s'évanouissent. Avec la sensation et la saveur familières de son sexe dans ma bouche, c'est tout mon vert paradis qui resurgit, mes plaisirs et mes jours en cet été cruel - ma saison du jouir, à la fois déclenchement merveilleux et commencement du terrible; avec l'odeur et la moiteur de ses cuisses, je retrouve l'ivresse d'être au monde, mon impatience tandis que je l'attendais sur notre couche nuptiale, herbes écrasées, baldaquin malmené par le vent, ma féerie perpétuelle, ma vie habitée par l'amour, ma vie en son pouvoir, que j'ai crue infinie. Dans cet habitacle si peu fait pour l'extase, je suis sur le point de connaître un nouvel épisode de désagrégation mentale qui risque de m'emmener très loin, et ce n'est que par un effort douloureux que je parviens à me concentrer sur les chairs flaccides d'Arcady. Et comment se fait-il, d'ailleurs, que sa verge reste désespérément inerte en dépit des vigoureux mouvements de succions que je lui imprime ? Arcady ne m'a pas habituée ni à l'inertie ni à la passivité. Le voir comme ça, tête renversée sur le siège, yeux clos, sans même un début d'érection, voilà qui dépasse l'entendement, et je m'interromps :
- Ça va ?
- Ça n'ira plus jamais, ma chérie. Mais pourquoi tu demandes ça ?
- Ben, tu bandes pas...
Saisissant sa bite entre l'index et le majeur, il semble un instant en éprouver le volume et la fermeté avant de la laisser retomber avec un geste désabusé sur le métal crénelé de sa fermeture éclair.
- Bah... Ça m'arrive en ce moment, le prends pas contre toi.
Il ne s'agit absolument pas d'en faire une affaire personnelle, bien au contraire... Un monde dans lequel Arcady manquerait de désir ou d'énergie est un monde impensable, voire invivable - car la vie a besoin d'un foyer irradiant auquel s'alimenter. Les âmes fortes sont d'utilité publique parce qu'elles savent communiquer aux âmes faibles un peu de ce feu qui leur manque. A ceux qui m'objecteront que la force d'âme n'a rien à voir avec la puissance sexuelle, je répondrai qu'ils n'en savent rien et que chez Arcady les deux ont toujours été inextricablement chevillées.
- Ça t'arrive avec Victor?
- Oui, avec Victor aussi. Note que ça l'arrange : je le fatiguais, avec mes exigences. Lui-même n'est plus très flambant, depuis quelque temps.
Eh oui, bien sûr. Les faibles s'accommodent très bien de la défaillance des autres, au moins dans un premier temps, parce qu'elle les conforte dans leur existence végétative. Ils ne savent pas à quel point leur simple fonctionnement est tributaire de la beauté exubérante et de la force inépuisable de ceux qui ont choisi de plonger dans le tourbillon de la vie. La débandade d'Arcady est donc une catastrophe mondiale, même si personne n'en mesure les retombées funestes - à part moi, ce qui fait que je passe un quart d'heure à m'escrimer sur la bite d'Arcady avant de jeter l'éponge. Au moins, j'aurai tout essayé : va-et-vient frénétiques, coups de langue, coups de glotte, appels d'air, afflux de salive, accupression, empaumage des testicules, stimulation anale - peine perdue, tout juste un soubresaut, un tressaillement, puis rien.

17 déc. 2018

Juan José Saer


L'écrivain argentin Juan José Saer a publié en 1983 L'ancêtre, traduit en français en 1988. Un jeune espagnol partage la vie d'une tribu d'Indiens qui ont massacré ses compagnons d'expédition. Et il y est témoin de scènes hallucinantes et fantasmatiques d'anthropophagie et d'orgie.


Le crépuscule s'emplit de halètements, de cris étouffés, de soupirs, de râles, de lamentations. Certains s'ébattaient par couples, d'autres en trios, ou à quatre ou cinq, et même en groupes d'une douzaine et plus. Une petite fille de sept ans à peine, à quatre pattes, entrouvrait d'une main décidée sa vulve serrée en provoquant d'un regard vicieux, par-dessus son épaule, un jeune garçon qui attendait, debout derrière elle, un gros bâton lisse et arrondi dans une main, et qui, de l'autre , caressait sa verge pour anticiper son plaisir. Un homme se flagellait avec une branche feuillue. Deux autres, couchés sur le côté, tête-bêche, suçaient chacun, absorbés, le membre de l'autre. Il y en avait qui s'accouplaient, eût-on dit, avec un être invisible car, si c'étaient des hommes, ils fendaient l'air de leur verge en un va-et-vient continu et , si c'étaient des femmes, elles se contorsionnaient à quatre pattes et remuaient leur croupe comme si, véritablement, elles eussent quelqu'un en elles, à tel point qu'on voyait parfois jaillir l'achèvement comme dans un accouplement véritable ou bien qu'on entendait les femmes gémir comme lorsqu'elles atteignent, pénétrées pour de bon, le paroxysme.