28 déc. 2009

Mario Vargas Llosa

Voici un extrait de l'Eloge de la marâtre, roman de Mario Vargas Llosa publié en 1988: une scène réunissant un jeune professeur d’orgue et son élève au charme irrésistible, étrangement proche d'un tableau du Titien visible à Madrid .





…la dame, remarquant la ferveur et l’hommage que lui rendent les yeux de ce visage imberbe et pressentant les désirs fébriles que ses formes molles et blanches éveillent chez cet adolescent sensible, ne peut laisser d’être émue et en proie à des humeurs concupiscentes.
Surtout quand le joueur d’orgue la regarde là où il la regarde. Que trouve-t-il ou que cherche-t-il au nid vénusien ce jeune artiste ? Ses pupilles vierges, que tentent-elles de percer ? Qu’est-ce qui l’oriente de la sorte vers ce triangle de peau transparente, traversé de veinules bleues comme des ruisselets, ombré du boqueteau épilé du pubis ? Je ne saurais le dire et je crois que lui non plus. Mais il y a là quelque chose qui attire son regard chaque après-midi sous l’emprise d’une fatalité ou la magie d’un sortilège. Quelque chose comme l’instinct qu’au pied du mont de Vénus ensoleillé, dans la tendre faille que protègent les colonnes galbées des cuisses de la dame, pulpeuse, pourpre et humide de la rosée de son intimité, coule la source de la vie et du plaisir. Bientôt notre seigneur don Rigoberto se penchera sur elle pour y boire l’ambroisie. Le joueur d’orgue sait que cette boisson lui sera toujours refusée car dans peu de temps il entrera au couvent des Dominicains.

24 déc. 2009

Jean Genet



Après le message précédent, il m’a semblé naturel de présenter Jean Genet, une référence souvent explicite dans l’œuvre d’Hélène Cixous. Jean Genet publie Miracle de la rose en 1946. Il y décrit ses amours carcérales, ici avec le co-détenu Divers, en un lieu où brille l’auréole du condamné à mort Harcamone.



Peut-être Divers supposait-il que j’occupais mes nuits avec des rêves moins dangereux, avec son image ou l’image d’un autre amant. Il me jalousait. Il lui fallut donc beaucoup de courage ou beaucoup de lâcheté – en tous les cas, il subit une profonde agitation – pour attendre jusqu’à ce soir, pour s’imposer toute une nuit. Il ne soupçonnait pas comme j’avais travaillé. Il réussit donc à pénétrer dans une cellule de la façon que j’ai rapportée plus haut. Il s’allongea près de moi, sur le bat-flanc. Il picorait sur mon visage mille rapides baisers qui claquaient sec. J’ouvris les yeux.
La chaleur de son corps m’avait troublé. Malgré moi, je le serrai un peu. Sa présence et cet amour me délivraient du miracle que j’avais failli provoquer. A mon étreinte pourtant légère, il répondit par un geste fougueux qui ouvrit mon pantalon (on sait qu’il ne tenait que par une ficelle, elle sauta). Je quittai Harcamone. Divers était déjà à ma queue, que déjà sa bouche et sa langue travaillaient. Je quittai Harcamone. J’allongeai bien mes jambes, je dégageai mon ventre. Je trahissais Harcamone. Et l’épuisement que j’avais éprouvé par le fait de ces quatre nuits s’échappait, remplacé par un bien-être délicieux : le sentiment d’être remonté en surface après un trop long engloutissement fut prolongé.

21 déc. 2009

Hélène Cixous

Hélène Cixous publie Souffles en 1975, une fiction à l’écriture complexe dont il a été écrit que l’exploration glorieuse du corps et de la féminité en constitue la matière.
Hélène Cixous a obtenu le prix Médicis en 1969


Son corps est un jeune palmier. Son tronc de couleurs si vives qu’il n’a pas l’air naturel mais inventé. La substance du tronc est vivante et fraîche comme d’une tige de fleur qu’une immense montée de sève aurait transformée. Le premier tronçon vert très vif. Je le tiens embrassé, perchée aussi haut que possible. Il va s’attendrissant vers le haut. Où je l’étreins le tronc est bleu roi, d’une chair élastique contre mon pubis ; puis à nouveau, au-dessus de moi au bout la partie plus fragile est vert vif, plus tendre. Collée au tronc, je sens couler ton sang sous ma joue. Je ne sais plus bien si je monte encore ou si dans un demi-sommeil nous caressant nous sommes emportés dans ces métamorphoses d’où parfois je ne me reviens pas, mais je m’en fous – « Je touche la vie en ce moment. Ce sera naturel pour tous dans mille ans. » – car j’atteins bientôt l’extase où tien et mien sont ravis et va dire qui branle qui branche qui fourche qui…
Je jure que c’est la veine de ton sexe que mes dents mordillent le long de cette branche mais c’est mon sexe mordillé qui crève de joie et ruisselle sur ton ventre. Au moment où je veux serrer contre ma poitrine ton pénis, l’arbre m’empoigne et m’étreint à me couper le souffle. « Cet instant est légendaire ! » me dis-je dans un ultime affolement ; mais stop ! Toutes pensées arrêtées, je me jette à l’autre, sous la forme qu’on voudra, on s’en fout, échevelée, renversée, les feuilles détachées, en averse mes particules, c’est le même besoin de l’étoile, tu m’attrapes dans tes branches, je glisse et suis écorchée, par de telles déchirures le lait du ciel entre ou gicle. Ce sera une noyade là-haut. A jouir.
A vive allure l’arbre cingle. Nous tournoyons, un sursaut, l’arbre rue, je lâche tout, quelle terreur ! C’est moi, moi seule qui la gorge nouée sans proférer un son m’en vais valser là-haut dans un champ frétillant de bancs d’étoiles, elles filent et virent à coups de queues humides en silence autour de moi qui ne puis, abîmée de volupté, lever le petit doigt. Tournoyade, le dais céleste répand ses fleuves de lait, je succombe, je roule longtemps, longtemps insensible dans les vagues de ma propre chair qui déferle sur la terre. Survolée.
Tout se passe au-dessus de tout : au-dessus de l’arbre sur lequel je retombe en gémissant, au-dessus de mon corps que je vois enroulé entre tes bras dans l’autre lit. Cependant la pluie céleste tombe en tambourinant et me trempe. Vers le milieu du ciel, confusion ! Le bonheur et le malheur sont indémêlables, je me désole, ne pouvoir jouir de ma jouissance, impossible de se multiplier assez vite et haut pour être baisée de toutes parts, pas assez de cons où engouffrer tous les pénis, pas assez de langues pour lécher les orées par où s’enfilant, on pourrait accourir à la chambre des chambres. Pas de voix, balancée à la volée, être terre, sans ouvrir la bouche, penser : « Ma chair ne parle, au sommet, qu’une langue à la fois et encore, le sommet atteint, aucune ! » et je me vois retomber entre ses bras. Lui, pensant que je pense ainsi, d’un formidable coup de branche m’envoie rouler au-dessus de mon corps, et là-haut, je me vois disparaître, et je m’en fous.

12 déc. 2009

J.G. Ballard

J.G. Ballard publie en 1969 La foire aux atrocités, un ouvrage expérimental, féroce et fantasmatique qui reprend des textes parus les années précédentes. L'extrait suivant est tiré de la section Projet pour l'assassinat de Jacqueline Kennedy, écrite en 1967 et publiée la première fois dans la revue anglaise Ambit.

J. G. Ballard donnait le conseil suivant aux lecteurs de ce livre : Au lieu de commencer chaque chapitre par son début (…), contentez-vous d’en tourner les pages jusqu’à ce qu’un paragraphe retienne votre attention ; si quelque idée ou quelque image vous y semble intéressante, balayez alors du regard les paragraphes voisins jusqu’à ce que vous y trouviez quelque chose qui résonne en vous de façon à piquer votre curiosité. Et bientôt, je l’espère, le rideau de brume se déchirera pour permettre au récit sous-jacent d’en émerger.



Fragments de bouches : dans la première étude on avait découpé les photographies des trois personnalités suivantes : Madame Chiang, Elizabeth Taylor, Jacqueline Kennedy. On demanda aux malades de remplir les parties manquantes. Les parties buccales favorisèrent une concentration particulièrement grande de refoulements, d’agressions et de fantasmes sexuels. Dans le test suivant on remit les bouches en place et on retira le reste des visages. Encore une fois, tout convergea vers les parties buccales. Celle de Madame Chiang et Jacqueline Kennedy jouèrent un rôle prépondérant. Ultérieurement on construisit une version « optimale » des bouches de Madame Chiang et Mrs Kennedy.

9 déc. 2009

Richard Powers

La chambre aux échos, publié en 2006, raconte l'histoire de Mark, dont le cerveau est endommagé après un accident de la route ; il retrouve progressivement ses capacités tout en restant persuadé que sa soeur Karin a été remplacée par une autre femme. Richard Powers a obtenu le prestigieux National Book Award pour ce livre.




Fin mars, les jours rallongeant, elle avait emmené son frère accomplir l’une de ses premières sorties en extérieur. Ils déambulaient dans le parc de l’hôpital tandis que Marc concentrait toute son attention sur un objet impénétrable. Autour d’eux, les premiers insectes printaniers emplissaient l’air de leur bourdonnement. L’aconit d’hiver disparaissait déjà, tandis que crocus et jonquilles pointaient sous les derniers monticules de neige. Une oie à front blanc passa dans le ciel. Mark renversa le cou. Il ne put voir l’oiseau mais, lorsque Mark baissa la tête, un souvenir rayonnait sur son visage. Un sourire plus franc qu’elle ne lui en avait jamais vu depuis la mort de leur père fit irruption sur ses lèvres. La bouche était ouverte, prête pour le mot « oie ». Karin l’encourageait du regard et des mains.
« O-O-O-ordure. Saloperie. Sale pute de merde. Suce ta chatte pourrie tu l’as dans le cul »
Il souriait fièrement. Estomaquée, elle s’écarta, et le visage de Mark s’assombrit. Elle repoussa l’assaut des larmes, reprit son frère par le bras, et, feignant le calme, le remit dans la direction du bâtiment. « C’est une oie, Mark. Tu te souviens des oies ? Toi aussi, tu en es une belle, et bien sotte, tu le sais ?
- Merde pute bite » scandait-il, concentré sur ses pieds paresseux.
C’était le traumatisme, non son frère. Rien que des sons : des choses dépourvues de sens, des choses enfouies, que la blessure faisait remonter.

5 déc. 2009

Almudena Grandes

Les vies de Loulou, premier roman de Almudena Grandes, est publié en Espagne en 1989 à l’époque de la movida finissante et rencontre un succès public remarqué en restant plusieurs semaines en tête des plus fortes ventes.


Nous avons tiré un coup très tendre, conjugal presque, presque, mais à la fin, quand j’étais déjà épuisée et que mon corps menaçait de redevenir un corps solide et fini autour de ce nerf unique, électrisé et prêt à rompre, il s’est retiré, il a avancé à genoux vers le mur où il s’est appuyé de la main gauche et me l’a fourrée dans la bouche.
« Avale tout. »
Je n’ai rien eu à faire de plus, seulement supporter cinq ou six poussées que je n’aurais pu éviter même si je l’avais voulu car il m’emprisonnait entre ses jambes, refermer mes lèvres autour de la chair poisseuse, noter son goût qui se mêlait désormais à ma propre saveur, et avaler, avaler cette espèce de pommade visqueuse et brûlante, douce et aigre à la fois, avec l’arrière-goût de ces médicaments qui sont l’amertume des enfances faciles, avaler et réprimer mes envies de tousser à mesure que me descendait dans la gorge ce liquide épais et détestable, détestable, auquel je ne me suis jamais habituée et ne m’habituerai jamais, malgré l’expérience et la sévère autodiscipline qu’impose le désir de bien faire.
Lui était à son aise, en tout cas. Tandis que j’écoutais ses gémissements étouffés et que j’accompagnais ses mouvements avec ma tête pour refouler la nausée qui montait en moi si je demeurais immobile, je m’efforçais de rassembler toute la salive possible pour tout avaler jusqu’à la dernière goutte, comme avec les choux de Bruxelles et leur goût de pourriture, et je réfléchissais, je pensais que lui était à son aise finalement, et me venait à l’esprit une des sempiternelles remarques de Carmela, la tata que ma mère avait amenée dans sa corbeille de noces, une vieille bigote qui sentait mauvais, percluse de sclérose, déjà gâteuse et qui parcourait le couloir comme un fantôme en répétant le Seigneur nous la donne et le Seigneur nous la reprend, avec l’ABC à la main, ouvert à la page des décès et des « Loué soit le Saint-Esprit », le Seigneur nous la donne et le Seigneur nous la reprend, lui me la donne et la reprend, c’est bien, le cycle s’accomplit, tout commence et s’achève à la même place, lui est content et c’est bien ainsi.

1 déc. 2009

Susan Minot

Susan Minot a obtenu en 1987 le prix Fémina étranger. Son roman Extase, publié en 2002, présente à ma connaissance la fellation la plus longue de la littérature. La scène occupe en effet l'intégralité du livre de la première page à la dernière, 140 pages plus loin. Le texte fait alterner les monologues intérieurs de Kay et Benjamin, les deux protagonistes.



Photo aimablement fournie par Waid


Il revoit Kay sur cette plage mexicaine, le blanc de ses yeux se détachant, plus clair, dans la lumière qui décline. Puis elle est aspirée dans un zoom arrière, comme un boulet de canon, et il est au bord d’un gouffre béant et sombre sous un ciel de plomb. De l’autre coté du vide, une minuscule silhouette. Celle de Kay. Qui n’agite pas la main. Mais se contente de regarder.
Il s’efforce de descendre au niveau de la sensation brute. S’entend respirer. Voit un paysage désolé, un peu lunaire, humide pourtant. Se concentre sur la silhouette solitaire qui le regarde. Sa respiration s’accélère.
***
Son visage s’empourpre violemment.
Elle souhaite qu’il puisse ressentir ce qu’elle ressent, espère qu’elle l’époustoufle. La pièce devient soudain plus claire, les murs, d’un blanc moelleux. Sa peau est douce ; il vient encore de se durcir.
C’est comme s’il lui apparaissait au sortir d’une bataille, émergeant de la fumée, hagard, en haillons, vivant. Elle est là pour l’accueillir à son retour. Elle est traversée par une vague de gratitude, ressent le besoin terrible, urgent, de ne pas le lâcher, de le garder près d’elle. Besoin qui s’empare d’elle comme une fièvre, une maladie. Elle cherche à retenir cette beauté qui est en lui, ce sentiment d’amour, à s’accrocher à l’idée qu’à un moment, dans le passé, ils se sont aimés, qu’elle a su ce que c’était qu’être aimée de lui, et qu’elle l’aime en ce moment, et que même si c’est la dernière fois qu’ils se voient, elle aura au moins eu cet après-midi. La chambre gardera la mémoire de leur présence sur ce lit et, en regardant par la porte entrouverte, elle pourra en ranimer le souvenir quand elle voudra. Elle se verra allongée à côté de lui, et renaîtra alors le sentiment d’union qui accompagne leur rencontre. Elle aura toujours cette vision à sa disposition. Qui ne disparaîtra que le jour où elle l’emportera avec elle dans la tombe. Une pensée se fait jour à travers les taches qui dansent devant ses yeux : elle a forcément vécu d’autres moments comme celui-ci, qu’elle a déjà oubliés. Mais quand ?
On ne peut jamais s’accrocher qu’à quelques souvenirs à la fois, pas davantage. Un grand souvenir réclame beaucoup de soin et d’attention si on veut le conserver. Il faut lui rendre visite souvent, sinon il se flétrit. Peut-être que celui-ci s’apprête à prendre la place d’un autre, qu’elle n’a pas suffisamment entretenu. Ma foi, ce sont des choses qui arrivent.
Au dessus d’elle, elle entend sa respiration se précipiter. Se faire moins profonde. Puis elle entend monter dans sa gorge un gémissement sourd.
Immédiatement, une flamme la traverse. Son cœur bat si vite qu’elle craint de s’évanouir. Sa tête s’emplit de vibrations, sa main et ses yeux se crispent, et elle l’entend prendre une longue inspiration frissonnante. Puis plus rien avant qu’elle sente le petit spasme dans sa bouche. Sa respiration se relâche et il exhale un long soupir, et elle sent le liquide se répandre, ni tiède ni froid, mais à la température de sa bouche, à la même température, exactement, que la sienne.
***
Ça coule hors de lui, faiblement. Ça semble se répandre de soi-même, sans qu’il en prenne immédiatement conscience. Sans même qu’il l’ait voulu, sans fanfare, sans qu’il ait eu son mot à dire.
***
Soudain au repos, elle a l’impression irréelle d’être en deux dimensions. Simple silhouette découpée dans du papier, qui plane au dessus de son corps à lui, décolle à peine du lit. Bizarrement, elle pense au moment où, à l’église, on se signe : curieux qu’on ait le pouvoir de se bénir soi-même sans avoir besoin de personne pour le faire ; elle le retient toujours entre ses lèvres, moins tendues maintenant, et sa main, relâchée, est toujours en place elle aussi. Ils sont tous deux immobiles. Elle le goûte, tandis qu’il se répand, gris pâle, dans sa bouche. C’est curieux, cette fadeur incroyable.
Les battements de son cœur, si précipités jusqu’ici, s’apaisent. Tout est calme.
Le liquide a formé une petite mare dans sa bouche, et elle trouve maintenant que non seulement il est fade, mais qu’il a un léger goût de nostalgie, comme s’il était conscient d’une certaine manière, même si l’endroit est humide et tiède, d’avoir été livré à la mauvaise adresse.

28 nov. 2009

Pierre Guyotat

Un mois après sa sortie en 1970, Eden, Eden, Eden de Pierre Guyotat fut frappé d’une triple d’interdiction : affichage, publicité, mineurs.
Cela mérite trois extraits dont le premier écrit par Michel Leiris est tiré de la triple préface de l’édition de 1970 , qui comprenait également une contribution de Roland Barthes et une de Philippe Sollers. La guerre d'Algérie forme la toile de fond de ce livre.


Les choses y sont prises sur un mode auquel les nuances psychologiques sont étrangères et qu’on ne peut même pas qualifier de ‘biologique’ (ce qui serait trop restrictif et risquerait en outre de suggérer un vitalisme tout proche du panthéisme), mode qui est en vérité celui du contact pur et nu – exempt de toute interprétation faisant écran – avec des corps vivants et les objets fabriqués qui constituent leurs coques ou leurs appendices.
(M.Leiris)



Extrait 1
les bergers, leurs boules sécrétives écrasées sous leur cul contre l’ossature des moutons, leurs pieds nus enfoncés dans le sable chaud, leur langue répandue sur leur menton, halètent, jappent ; des chiens en rut se roulent dans le blé, mordillent les robes des femmes ; se roulent dans le sable, mordillent le sexe des bergers ; un chien roux lèche la plaie de la fillette, va se frotter à la jambe du mieux membré des bergers, lui jette sa langue brûlante entre les cuisses ; la langue enveloppe le sexe ; le souffle du chien baigne le bas-ventre du berger, la bave ruisselle sur sa cuisse ; le berger, raidissant ses jambes contre les flancs du mouton – le craquement des muscles effraie le chien qui se jette de côté : sur un plissement mouillé d’écume des lèvres du berger, un pet léger de celui-ci qui bouffe la toison en arrière de son cul, la bête revient, re-cueille le sexe sur sa langue – , ahane, ses doigts accrochés aux oreilles du mouton ; le foutre jaillit, le chien le retient dans sa langue recourbée, le porte dans le blé, aux pieds des femmes ;

Extrait 2
La femme, penchée, lisse les mèches balancées ; le garçon renverse sa tête en arrière ; les doigts de la femme criblent son cou incurvé où les vertèbres ondulent sous la poussée de la salive ; le garçon prend ces doigts, les porte, luisant de khôl, à ses lèvres, en baise les menus ongles carrés ; sous l’étoffe collée, le cou palpite, s’entrouvre ; un coup de vent mord leurs reins roués ; le garçon, pivotant sur ses talons, étreint les reins de la femme, appuie ses lèvres sur le pubis, lèche l’étoffe collée, couvre de sa langue, plus bas, l’enflure spongieuse de la toison, l’aplatit sous ses lèvres grosses, fouille, de la pointe de sa langue jusqu’au retroussis du con ; la femme presse le versant de sa cuisse contre la joue du garçon ; la semence aquhuilée ruisselle sur son genou, l’écume mousse à la commissure de ses lèvres maculées de khôl ; un coup de vent mouillé module une série de pets brefs exhalés hors du cul du bébé assoupi ; le garçon retrousse de ses deux mains la dokhala, enfouit, dessous, sa tête durcie au gel latent ; la femme recule, s’élance, court vers l’abri ;

24 nov. 2009

Zeruya Shalev

Dans La vie amoureuse, roman publié en 1997, Zeruya Shalev raconte la passion incompréhensible de Ya’ara, la narratrice, pour Arieh, homme manipulateur et pervers.




… j’avais l’impression que mes forces décuplaient, je me sentais capable de lécher sa peau mate et parfumée de la tête aux pieds, et je m’y employai, il me semblait que j’allais rassembler les morceaux épars, comme s’il était une découverte archéologique rare dont j’avais retrouvé les pièces que je devais recoller avec ma salive, j’étais curieuse de découvrir ce qui allait en sortir mais je ne devais pas ouvrir les yeux avant d’avoir fini. Immobile, telle une statue, il fumait en silence, je l’entendais rire de loin en loin, petit à petit, je reconstituai ses jambes fines, son superbe pénis qui s’étira entre ses cuisses comme après un long somme, et je poursuivis plus haut, je n’avais presque plus de salive mais je persévérai, je ne voulais pas m’interrompre au milieu et le laisser sans la tête ni les épaules. Quand j’eus terminé, je contemplai mon œuvre avec orgueil, le résultat était remarquable, un homme entièrement recréé, harmonieusement proportionné, je me demandai si Dieu avait éprouvé les mêmes sentiments à la création d’Adam, c’était enivrant d’avoir quelque chose en commun avec Dieu, en même temps, ça me brûlai en bas, je lui pris la main, regarde comme c’est chaud, un vrai four, il eut un air faussement inquiet en commençant à me déshabiller, c’est dangereux la température doit baisser, il prit un cube de glace qui flottait dans son verre, le mit dans sa bouche et l’introduisit tout doucement à l’intérieur, liquéfiée de plaisir, je le sentais se dissoudre en moi, j’exultai, j’ai enfin réussi à te faire fondre, mon amour, j’ai enfin réussi à te faire fondre.

17 nov. 2009

Josef Winkler

Le serf , publié en 1987, est le premier livre de Josef Winkler traduit en français. C’est une chronique familiale, une peinture violente d’un village de Carinthie et de son catholicisme doloriste. Josef Winkler a reçu en 2008 le prix Büchner, le plus prestigieux de la littérature de langue allemande.

Agenouillé dans le Goethepark devant les hanches dénudées d’un garçon, Konrad entend un air d’opéra provenant du théâtre municipal de Klagenfurt. Le garçon blond est debout devant un arbre, au milieu des buissons, la tête renversée en arrière, tandis que crépitent les applaudissements dans la salle. Ses mains se cramponnent à la nuque de Konrad, sous le balcon où passent les ombres des dames et des messieurs de la belle société, une coupe de champagne à la main. Son membre fourrage dans la bouche de Konrad qui distingue au goût de sa semence s’il consomme trop d’alcool, de nicotine ou de stupéfiants. Les couilles du garçon, blondes comme des blés, sont aussi flétries que le visage ridé d’une dame dans sa loge, sa lunette d’opéra à la main. Si seulement quelqu’un déversait de la merde et du sang sur la scène, et racontait les souffrances d’un homme qui depuis des jours erre dans le parc en quête d’un garçon !
Konrad est debout dans la discothèque et dévisage le garçon blond aux cheveux bouclés qui se sait observé et se souvient des lèvres de Konrad, collées sur ses cuisses. C’est maintenant à une jeune fille que ce garçon arrachera les vêtements, de ce même geste dont Konrad lui ôta sa vareuse sous les feuilles bruissantes de l’arbre, pour la jeter sur l’une des branches. Des flocons de neige brûlants tombent entre les cuisses de la fille, tandis qu’elle presse ses mains sur les fesses du garçon couvertes d’un léger duvet. Elle tourne la tête et voit tressaillir les orteils de son amant. Un clown, le visage couvert de sang, pose sa tête contre la hanche du garçon. Il n’ose pas raconter à la fille que la veille, dans le parc du théâtre, il s’est fait ouvrir la braguette de son jean de Christ. Il se rendort et rêve d’un garçon qui pèse du sang avec une balance de la fortune. Il se réveille en sursaut, sort de son lit, ouvre la porte et va sur le balcon. La ville est plongée dans le brouillard. Il a la chair de poule et ressent des picotements par tout le corps.
Le garçon blond, épuisé, s’appuie contre le tronc de l’arbre. Konrad applique ses lèvres sur ses cuisses, comme une sangsue. Le garçon pense aux légers coups de poignard du foutre qui gicle, aux minuscules embryons de poupées en plastique qui s’écoulent dans la bouche de Konrad ; il songe aux poissons dans l’aquarium qui ouvrent et ferment la bouche, comme lui à l’instant du plaisir. Il casse les dents d’un masque mortuaire. Une sage-femme, déguisée en oiseau des morts, ramasse du petit bois pour le lit funèbre d’un enfant. Les mouches de son enfance grandissent sur le rebord de la fenêtre jusqu’à ce que leur corps fasse exploser les murs de la maison parentale. Le garçon blond au jean de Christ pose le regard sur les filaments de l’ampoule d’un réverbère, dans le parc, puis il ferme les yeux et s’imagine que toutes les ampoules de cette ville explosent. Des chevaux de verre se cabrent et font des cabrioles à l’intérieur de ses couilles. Ils voient deux autres pédés remonter le sentier du parc dans leur direction. Le bruit de leurs pas s’assourdit. Ils entendent venus du théâtre de la ville, les accords d’un solo de violon. Il voit les hôtes du théâtre, debout sur le balcon, buvant du champagne et fumant des cigarettes. A dix mètres de là, dans les buissons du parc, un homme est agenouillé aux pieds d’un garçon et quémande un peu d’amour.

14 nov. 2009

David Foster Wallace

David Foster Wallace a clos en septembre 2008 son œuvre inachevée et 25 ans de dépression en se pendant sur la terrasse de sa maison californienne.
La fonction du balai, son premier roman, publié aux Etats-Unis en 1987 et traduit en français en 2009, mêle l’absurde et le loufoque aux réflexions philosophiques et littéraires.
Voici un passage où Rick, un éditeur tourmenté, résume à sa petite amie Lenore l’un des nombreux manuscrits qu’il reçoit : l’histoire d’une femme névrosée, délivrée de l’influence maléfique de son psychologue par un dentiste devenu son époux.



… le psychologue a un petit sourire en coin, glousse et mate en douce le corps de la femme sous sa robe de mariée. »
« Je suis fatiguée. »
« Un matage devenu futile, pourtant, car même si la femme a toujours un besoin pathologique d’attention et d’activité sexuelle pour réfréner les violents soubresauts de sa névrose, disons que ce besoin est plus que satisfait par le dentiste théorique, chez qui la femme a réveillé un accès de passion et un désir d’intimité que le dentiste n’avait pas ressenti depuis sa jeunesse, quand il était frais émoulu de chez les scouts. Là, un long passage est consacré à la description graphique des implications de ces accès réveillés et de ces besoins satisfaits, dont les plus saisissantes impliquent un appareillage dentaire utilisés dans des buts qui – bien qu’émotionnellement innocents et donc dans le fond parfaitement convenables – outrepassent de loin les fantasmes les plus fous du dentiste. Si tu me suis. »

10 nov. 2009

Georges Bataille

Madame Edwarda est une nouvelle de Georges Bataille, imprimée en 1941 mais éditée pour la première fois en 1956 sous le pseudonyme de Pierre Angélique. Ce n'est qu'en 1967 que sort la première édition où apparaît le véritable nom de l’auteur.




De mon hébétude, une voix, trop humaine, me tira. La voix de Mme Edwarda, comme son corps gracile, était obscène :
- Tu veux voir mes guenilles ? disait-elle
Les deux mains agrippées à la table, je me tournai vers elle. Assise, elle maintenait haute une jambe écartée : pour mieux ouvrir la fente, elle achevait de tirer la peau des deux mains. Ainsi les « guenilles » d’Edwarda me regardaient, velues et roses, pleines de vie comme une pieuvre répugnante. Je balbutiai doucement :
- Pourquoi fais-tu cela ?
- Tu vois, dit-elle, je suis DIEU…
- Je suis fou…
- Mais non, tu dois regarder : regarde !
Sa voix rauque s’adoucit, elle se fit presque enfantine pour me dire avec lassitude, avec le sourire infini de l’abandon : « Comme j’ai joui ! »

Mais elle avait maintenu sa position provocante. Elle ordonna :
- Embrasse !
- Mais…, protestai-je, devant les autres ?
- Bien sûr !
Je tremblais : je la regardais, immobile, elle me souriait si doucement que je tremblais. Enfin, je m’agenouillai, je titubai, et je posai mes lèvres sur la plaie vive. Sa cuisse me caressa mon oreille : il me sembla entendre un bruit de houle, on entend le même bruit en appliquant l’oreille à de grandes coquilles. Dans l’absurdité du bordel et dans la confusion qui m’entourait (il me semble avoir étouffé, j’étais rouge, je suais), je restai suspendu étrangement, comme si Edwarda et moi nous étions perdus dans une nuit de vent devant la mer.

8 nov. 2009

William Burroughs

C’est à Paris en 1959 qu’est publié pour la première fois Le Festin nu, l’œuvre emblématique de William Burroughs. Le livre reste interdit quelques années aux Etats-Unis après sa parution là-bas en 1962.



Sur l’écran. Un rouquin aux yeux verts, à la peau blanche piquetée de taches de son… Il embrasse une petite brune en pantalons. Coiffure et vêtements évoquent les bars existentialistes de toutes les capitales du monde. Ils sont assis sur un lit bas recouvert de soie blanche. La fille déboutonne la braguette du rouquin avec des doigts câlins et en extirpe son sexe menu mais dur comme du bois, couronnée d’une perle de lubrifiant qui scintille. Elle le caresse tendrement. « Déshabille-toi, Johnny. » Il obéit prestement et se poste devant elle, pointant au ciel. Elle lui fait signe de se retourner et il pirouette de-ci de-là, main sur la hanche à la façon d’un mannequin… Elle ôte son chemisier. Ses seins sont petits et plantés haut, le bout durci et palpitant. Elle fait glisser son slip. Sa toison est d’un noir brillant. Il s’assied à côté d’elle et tend la main vers ses seins, mais elle retient son poignet.
- Je veux te plumer, mon chéri, souffle-t-elle.
- Non, pas maintenant.
- Je t’en prie, j’en ai si envie… Viens…Elle l’entraîne dans la chambre. Il s’allonge jambes en l’air, les bras croisés autour des tibias. Elle, à genoux, lui caresse la face interne des cuisses, suit du doigt le tracé périnéal, puis se penche, lui écarte les joues et darde la langue, de plus en plus profond, avec un lent mouvement circulaire de la tête, et de nouveau le périnée, ses petites bourses tendues… Il ferme les yeux, se tortille. Elle referme la bouche sur la goutte qui perle à son gland circoncis, va et vient en cadence, pausant en instant en haut de course, la tête remuant toujours en cercles lents. De la main elle joue doucement avec ses bourses, puis glisse plus bas et le sodomise du majeur, lui taquinant la prostate. Il sourit, pète moqueusement. Elle le tient englouti presque jusqu’à la garde, suce avec frénésie croissante. Le corps de Johnny se contracte vers son menton, les contractions sont de plus en plus longues. « Aiiiiiiiiiiie ! » crie-t-il, les muscles bandés, et son corps tout entier tente de s’échapper par la queue. Mary avale les grandes giclées brûlantes qui lui emplissent la bouche. Il laisse retomber ses jambes sur le lit, creuse les reins et bâille…

5 nov. 2009

Haruki Murakami

Haruki Murakami publie en 1994 un roman onirique et mystérieux, Chroniques de l’oiseau à ressort. L’extrait suivant relate le rêve du personnage principal , l’attachant Toru Okada.




Comme la dernière fois, j’étais assis sur le lit. Je portais un costume et une cravate à pois.
- Ne pensez à rien, monsieur Okada. Ne vous inquiétez-pas, dit-elle. Tout va bien.
Et comme la dernière fois, elle ouvrit ma braguette, sortit mon pénis et le mit dans sa bouche. Seule différence : à présent, elle n’enlevait pas ses vêtements. Creta Kano gardait sur elle la robe de Kumiko. J’essayai de bouger. Impossible, mon corps était comme attaché par des fils invisibles. Mon pénis, lui, avait grandi et durci instantanément dans sa bouche.
Je vis trembler la pointe de ses cheveux bouclés et vibrer ses faux cils. J’entendis ses bracelets s’entrechoquer. Sa langue, longue, douce, s’enroulait autour de mon pénis et le léchait partout. Puis au moment précis où j’allais éjaculer, elle s’écarta de moi, entreprit de me déshabiller. Lentement, elle me retira veste, pantalon, cravate, chemise, slip, et quand je me retrouvai nu, elle m’allongea sur le dos. Mais elle-même ne se déshabillait toujours pas. Assise sur le lit, elle saisit ma main et l’amena doucement sous sa robe. Elle n’avait pas de culotte. Mes doigts sentirent la chaleur de son sexe. C’était profond, chaleureux, très humide. Mes doigts entrèrent à l’intérieur sans aucune résistance, comme absorbés.

2 nov. 2009

Marguerite Duras

Marguerite Duras publie en 1980 un texte ne dépassant pas 40 pages , L'homme assis dans le couloir, récit d'une relation sexuelle et de la violence faite par l'un au corps de l'autre au travers du regard d'un voyeur-narrateur.



Elle se serait avancée lentement, elle aurait ouvert ses lèvres et, d’un seul coup, elle aurait pris dans son entier son extrémité douce et lisse ; Elle aurait fermé les lèvres sur l’ourlet qui en marque la naissance. Sa bouche en aurait été pleine. La douceur en est telle que des larmes lui viennent aux yeux. Je vois que rien n’égale en puissance cette douceur sinon l’interdit formel d’y porter atteinte. Interdite. Elle ne peut pas le prendre davantage qu’en la caressant avec précaution de sa langue entre ses dents. Je vois cela : que ce que d’ordinaire on a dans l’esprit elle l’a dans la bouche en cette chose grossière et brutale. Elle la dévore en esprit, elle s’en nourrit, s’en rassasie en esprit. Tandis que le crime est dans sa bouche, elle ne peut se permettre que de la mener, de la guider à la jouissance, les dents prêtes. De ses mains elle l’aide à venir, à revenir. L’homme crie. Les mains agrippées aux cheveux de la femme il essaye de l’arracher de cet endroit mais il n’en a plus la force et elle, elle ne veut pas laisser l’homme. La tête du corps emportée gémit, jalouse et délaissée. Sa plainte crie de venir, de revenir à lui, elle crie la suppliciante contradiction qu’on lui veuille un tel bien. A elle, à la femme, il n’importe pas. Sa langue descend vers cette autre féminité, elle arrive là où elle se fait souterraine et puis elle remonte patiemment jusqu’à reprendre et retenir encore dans sa bouche ce qu’elle a délaissé. Elle la retient au bord d’être avalée dans un mouvement de succion continue. Il n’essaie plus rien de nouveau. Yeux fermés. Seul. Sans gestes, il crie.
Là-haut, le cri, la plainte se fait plus aiguë, elle est presque enfantine d’abord et ensuite elle s’approfondit, elle devient si douloureuse, tant, que la femme doit lâcher prise. Elle lâche, se retire, amène les cuisses plus près d’elle, les écarte et regarde et respire l’odeur humide et tiède. Elle s’attarde, le visage enfoui dans ce qu’il ignore de lui, respire longuement l’odeur fétide.

27 oct. 2009

Juan Manuel de Prada

La vie invisible , roman publié en 2003, raconte la rencontre d'un écrivain madrilène avec deux femmes entrées dans la folie : la jeune espagnole Elena et l'américaine Fanny, inspirée de l'icône fétichiste Bettie Page, pin up des années 50.






Une minute avant de sentir le fil d’une lame de poignard presser sa jugulaire, Fanny sait déjà que la danse ne figure pas parmi les projets prioritaires de la bande. La dernière partie du trajet en rase campagne, où l’automobile finit par s’arrêter, se passe dans un silence bourbeux que ne rompent que la trépidation du moteur et les obscénités que crachent de temps en temps ses ravisseurs, pendant que leurs mains de batraciens lui palpent les seins, par-dessus son pull. Les larmes lui ont brouillé la vue, tout comme la pluie qui s’est mise à tomber a opacifié le pare-brise, quand on lui ordonne de sortir de la voiture, à l’abri des regards entre les monticules de détritus d’une décharge publique ; l’humidité a fait fermenter toutes ces immondices d’où monte dans le crépuscule une puanteur qui soulève le cœur. Tandis qu’elle patauge parmi les ordures, tandis que ses ravisseurs lui annoncent, d’une voix de cauchemar qui semble venir de très loin, les sévices qu’ils se proposent de lui infliger, Fanny se souvient, en un éclair de lucidité désespérée, que quand elle avait ses règles les gamins de l’école renonçaient, écœurés, à leur harcèlement sexuel. « Je crois que ça ne va pas vous plaire, balbutie-t-elle d’une voix à peine audible entre les sanglots qui lui nouent la gorge, je viens d’avoir mes règles. » Alors qu’elle n’osait même plus l’espérer, l’avertissement a un effet dissuasif sur les violeurs, qui se lancent aussitôt dans un conciliabule, afin de décider de leur réaction face à cette complication imprévue. Pendant ce temps, la pluie tambourine, monotone, sur les montagnes d’ordures, brouille les contours du monde, plaque la chevelure de Fanny sur son crâne, lui ôte son éclat d’aile de corbeau, lui donne l’aspect d’une loque, et dissout le Rimmel de ses cils, qui coule sur ses joues et souille ses larmes. Dans le tambourinement continu de la pluie et le marasme de l’horreur, Fanny entend la proposition de l’un des ravisseurs, qui est de lui faire la peau sans attendre. En définitive, la solution moins criminelle qui prévaut est celle de l’homme qui l’a piégée devant la vitrine de l’avenue Michigan (mais, à ce moment-là, elle ne le reconnaît même plus), solution qui est aussi la plus réfléchie et la plus satisfaisante, puisque tous les cinq désirent assouvir les appétits bestiaux qui les ont conduits jusqu’à la décharge. Ils lui ordonnent de s’agenouiller sur les détritus qui déchirent ses bas et lacèrent ses genoux, et l’obligent à leur faire une fellation ; l’un après l’autre, ils soulagent leur excitation dans la bouche de Fanny, sa bouche qui était faite pour garder un sourire convulsif et pétillant, sa bouche aux lèvres chargées de promesses qui, après cette épisode, resteront fendues et muettes. C’est ainsi qu’ils la laissent, chiffe frissonnante qui gémit avec un très léger bruit guttural, sous la pluie qui la plonge toujours plus profondément dans les monceaux d’ordures.

25 oct. 2009

Bret Easton Ellis

American Psycho est publié en 1991 et rencontre un énorme succès planétaire. C'est l'histoire outrancière d'un yuppie new-yorkais, tueur en série et amateur de marques de luxe.


Chez elle, à présent. Elle est couchée sur le dos, nue, les jambes écartées – des jambes bronzées, aérobiquées, musclées, entraînées –, et je suis à genoux, en train de la sucer tout en me masturbant ; depuis que j’ai commencé à la lécher et à lui bouffer la chatte, elle a déjà joui deux fois, et son con est tendu et brûlant et mouillé, et je lui écarte et la doigte d’une main, tout en me branlant de l’autre. Je lève son cul, souhaitant y mettre ma langue, mais elle refuse, et je relève la tête, tends le bras vers la table de chevet ancienne de chez Portian pour prendre le préservatif posé dans le cendrier du Palio, à coté de la lampe halogène Tensor et de l’urne en terre cuite de chez d’Oro, et déchire l’emballage entre mes dents et deux ongles brillants et lisses, puis l’enfile sur ma queue, sans difficulté.

22 oct. 2009

William T. Vollmann

La prostitution est un des thèmes de prédilection de l'écrivain américain William T. Vollmann, lauréat en 2005 du prestigieux National Book Award . En 2000, il a publié La famille royale, un roman fleuve qui a pour décor les bas fonds de San Francisco. La version française est l'oeuvre de Claro.

Pour une fois, deux extraits : deux chapitres dans leur intégralité.


Chapitre 205
Dès que sa langue eut touché son clitoris, sa bouche et sa gorge furent traversés par une odeur âcre et salée, les fluides de la Reine pareils à de la soude au contact de son palais, des fluides saumâtres, un peu comme cette soupe aux fruits de mer très saine que les Coréennes boivent pendant leur grossesse ; eût-il pu se convaincre que c’était la santé et non la mort qu’il buvait, qu’il eût peut-être été plus heureux. Plus tard, il se ferait un long et minutieux bain de bouche ; il mettrait sur le poisson-chat qu’on lui servirait de la sauce très épicée ; mais une fois ses papilles lavées, le goût de la Reine lui revint. Il le sentait même sur ses doigts à présent, bien qu’il n’eût jamais touché son con autrement qu’avec la langue. Quand il la suçait, il ne respirait que par la bouche. Sa langue se retrouva vite à mariner dans cet antre âcre et salé. Il comprit alors qu’il buvait le sperme d’autres hommes.

Chapitre 308
Le con de la Reine avait le goût du crack. Les filles pouvaient s’y abreuver toute la journée et le manque disparaissait.. Mais plus elles buvaient, plus elles devenaient accros. (De même Celia raffolait du muscle aiguisé derrière les genoux de John.) Sa salive produisait exactement l’effet inverse.

19 oct. 2009

Sandro Veronesi

Sandro Veronesi publie Chaos calme en 2005 et obtient le prix Strega en Italie en 2006 puis le prix Fémina étranger en 2008. Le début du livre : un homme sauve une femme qui se noie et apprend en rentrant à la maison que sa compagne vient de décéder brutalement. Il retrouvera plus tard l’inconnue sauvée des eaux, dans un corps à corps d'un genre différent. Voici un long extrait de cette scène.



Bien sûr nous continuons à nous embrasser, mais désormais ce sont des baisers sans saveur, un dérivatif, nous avons l’esprit ailleurs. Nous ne faisons plus un, comme tout à l’heure pendant que je la mordais ; il n’y a plus cet abandon végétal, nous sommes redevenus deux individus distincts qui pompent de l’adrénaline dans les sombres cavernes de leur moi et s’agitent l’un sur l’autre dans la tentative d’apaiser la fringale qui en découle – presque en compétition l’un avec l’autre, oui, presqu’en lutte. Et c’est elle qui élève le niveau de cette compétition, en franchissant le pas que Patrizia Pescosolido avait employé un long hiver à franchir, à savoir passer de l’extérieur à l’intérieur de la braguette. Je sens sa main forcer sur les boutons, les arracher presque, glisser dans le slip pour empoigner ma queue comme un marteau. Et moi alors, toujours par symétrie, je soulève son tee-shirt jusqu’au cou, dévoilant le blanc absolu de ses seins, et je les empoigne aussi, oui, je m’en remplis les mains, je les presse, je les sens déborder de mes doigts – je les utilise, on peut bien le dire, dans le but ultime pour lequel ils ont été réalisés. Je m’en rassasie, c’est indéniable, mais maintenant quelque chose de mécanique marque la correspondance qui s’est établie entre sa main et les miennes, si elle me griffe le pubis, aussitôt je serre son téton plus fort, comme si le dialogue qui ne s’est jamais instauré entre nous se présentait soudain sous cette forme teigneuse et primitive, sans aucune tendresse, aucune liberté. Et comme cette femme n’est pas Patrizia Pescosolido, que nous n’avons pas seize ans, que nous ne sommes pas dans la mansarde de Gianni Albonetti dit ‘Futur’ et que nous ne pouvons pas passer la nuit à la façon dont, en revanche, nous adorions passer des après-midi entiers, à nous embrasser et à palucher nos parties nobles, voici que je ne suis déjà plus assouvi, et que se manifeste une intuition basse – géniale, s’il s’agissait d’une compétition, mais aride et désolante, il faut le reconnaître, si l’on pense que ce devrait au contraire être une union -, puisque cette fois , c’est moi qui fais le pas suivant, en me jetant avec la bouche sur ses tétons, en les suçant, d’abord l’un, puis l’autre, puis tous les deux en même temps (parce qu’on peut carrément l’entasser, cette chair armée en une masse critique d’une hauteur impressionnante) avec une avidité impudemment tactique parce qu’on ne peut pas dire que ce soit mieux ainsi – au contraire, c’est pire, les distances sont à nouveau annulées et la vision mythique des seins épanouis au-dessous du tee-shirt roulé a disparu – sauf que, dans le mécanisme qui nous gouverne, elle ne peut répondre à mon geste que d’une seule et unique façon. Oh, je sais, Eleonora Simoncini : je connais la règle qui régit ces choses entre les bourgeois que nous sommes, je sais que la première fois on ne la prend jamais dans la bouche ; je ne dis pas que je l’approuve, car pour ma part je la trouve inutile, absurde et plutôt hypocrite, mais je sais qu’elle a cours et je t’assure que dans le passé, je l’ai toujours respectée, si ça peut avoir une importance, ou je l’ai peut-être subie, mais en tout cas, je l’ai acceptée ; mais cette nuit, c’est différent et maintenant je désire l’enfreindre, cette nuit est une exception à toutes les règles et maintenant je désire que tu me suces la queue, et la fougue canine avec laquelle je te suce les tétons n’est rien d’autre que l’ordre de passer à l’action. Tu n’as pas le choix, mesure-le : je suce ce que tout à l’heure je tenais dans mes mains ; tu tiens ma queue dans ta main, alors c’est à toi maintenant de sucer : logique imparable, non ?
Et elle passe à l’action. Ni soumise ni hésitante, sans donner du tout l’impression de subir une quelconque coercition : au contraire, maîtresse de ses gestes et même contente de les accomplir, à en juger au regard réjoui qu’elle me lance avant de descendre le long de mon ventre ; voilà qu’elle soulève mon tee-shirt et commence une tortueuse marche d’approche en baisers et suçotements, le long de ma poitrine jusqu’aux poils autour du nombril, puis directement sur le nombril – mais il ne faudrait pas qu’elle insiste trop car il s’agit d’une espèce de torture, et il y a des femmes qui ne se rendent pas compte comme ça peut devenir insupportable… Mais non , elle n’insiste pas trop, elle continue sa descente et quand elle se retrouve avec ma queue pointée vers sa gorge, elle l’interprète correctement comme le signal de fin de course et cesse de me tourmenter. Nous y sommes : elle se met à genoux, finit de me déboutonner mon pantalon, le baisse tant qu’elle peut, baisse mon slip de la même façon, le tout avec la solennité nécessaire car elle est bien consciente de l’afflux de sérotonine que ce cérémonial provoque dans un cerveau masculin. Mais ensuite, elle a un geste étrange auquel je ne m’attendais pas : elle prend ma queue à la base et la soulève, en l’air comme si elle savait aussi combien il est agréable de la sentir affleurée par la brise de cette nuit marocaine et elle reste quelques secondes immobile à la regarder – à l’oxygéner, ai-je envie de dire, comme le bon vin avant de le boire ; puis elle souffle sur les boucles de cheveux qui tombent devant ses yeux et fourre mon outil dans sa bouche.
Oh, le début d’une pipe – Oh. Chaque fois, je m’étonne qu’une chose aussi simple soit aussi infaillible. Une bouche qui s’ouvre, et en route : un minimum de moyens. N’importe qui peut le faire. Et pourquoi ça n’arrive pas plus souvent ? Pourquoi en faisons-nous une marchandise si rare ? Nous sommes fous, tous.
Je ferme les yeux : tout est parfait, léger, étranger, et dans ma vie, je ne suis qu’un visiteur, un extraterrestre tombé du ciel d’une civilisation supérieure jusque dans la bouche chaude de cette femme. Oh, c’est merveilleux de rester ainsi, sans penser à rien, flottant dans un présent si pur et absolu que je n’arrive même pas à être dedans…
… Mais hélas, comme rappelés par cette absence de contrariété, voilà que les occupants de mon cerveau pointent leur nez, surpris, dérangés, envieux, chacun avec son commentaire à la con. Lara : « Comment peux-tu ? » ; Marta « Tu as vu ? Tu es un porc » ; Carlo : Tu as vu ? Tu as menti » ; Piquet : « Tu as vu ? Tu es un faux-jeton » ; la fiancée de Piquet : « Moi, je les fais mieux » ; le fils de Piquet : « Sept millions huit cent soixante-trois mille six cent quatorze »…
Je rouvre les yeux et la foule se disperse. Voyons : je ne fais rien, c’est une femme agenouillée dans l’herbe qui agit. Je ne suis qu’un mets consommé avec soin, mon état est fluide, je suis une idole qu’on vénère – pure inertie sensible, innocence, inconscience, dépendance… mais en gardant les yeux ouverts, je vois, et ce que je vois est pure pornographie – la tête qui ondoie entre mes jambes, les seins qui s’écrasent contre mes cuisses, les joues creusées par la succion – , qui excite à nouveau de la compétition, de l’insatisfaction, me filant une formidable envie de… de…
Oh, comment tout ça bascule-t-il si vite ? Si je ferme les yeux, tout se réduit à une fantaisie sexuelle grouillante, si je les garde ouverts, je suis de nouveau saisi du désir de m’emparer, de posséder, de donner du plaisir au lieu d’en recevoir. Donner du plaisir : ridicule. J’ai déjà fait beaucoup plus – il faut que je raisonne, nom de Dieu –, je lui ai sauvé la vie : sans moi, elle serait cendres dans une urne, alors le plaisir… – pleurée, incinérée et ensevelie aux cotés de son papa adoré dans le caveau de famille de quelque rutilant cimetière suisse, et le patrimoine fabuleux qu’il lui a laissé, ainsi que les postes auxquels elle lui a succédé dans les sociétés du groupe (chocolat Brick, d’abord, lait en poudre et préparations pour flan en ce qui concerne les produits sucrés, leur branche historique, ainsi bien sûr que toutes les holdings, les sociétés financières et les fiduciaires qui escamotent l’argent, mais aussi les récentes acquisitions issues de la foire d’empoigne de la globalisation, genre appareils de fitness, il me semble, et même structures gonflables pour parcs d’attractions), tout ça serait tombé aux mains de son salaud de mari ; raison pour laquelle, c’est pas compliqué, cette pipe, je la mérite, et elle est la première à le reconnaître, sinon elle n’y mettrait pas une telle dévotion… une telle –
Quoi, elle arrête ?
Non, elle n’arrête pas, elle m’embrasse les couilles. Et voici de nouveau la brise, waouh qui à présent, toutefois sur la peau humide de salive, paraît beaucoup plus fraîche, je frissonne…
« Je voudrais la garder toute la nuit dans ma bouche », déclare Eleonora Simoncini à voix haute, en serrant ma queue à un centimètre de ses lèvres, comme un micro. Et c’est magnifique à entendre : magnifique et déterminant, car c’est comme si elle m’avait invité à me laisser aller en arrière, en posture de shavasana, sur l’herbe, le regard dans les cimes des pins s’il s’avère que je ne peux pas fermer les yeux, et les étoiles floues, et la lune ardente, pendant qu’elle continue à poursuivre son idéal de vertu récompensée. Mais le sens de ses paroles a beau être rassurant, quelque chose dans leur son m’a bouleversé, quelque chose d’abrasif, oui, d’effilé, comme une espèce de coup de fouet sacré, lancinant qui m’ a traversé le corps dans toute sa longueur – la sensation physique la plus dérangeante que j’aie éprouvée dans ma vie. C’est passé maintenant, ça n’a duré qu’un instant et elle a recommencé à me sucer, concrète, productive, dans l’intention désormais manifeste de me faire jouir dans sa bouche ; mais la découverte qu’on peut éprouver ça déséquilibre et remet tout en question. Je m’entends lui ordonner :
« Répète-le. »
Eleonora Simoncini s’arrête à nouveau, dégage ma queue de sa bouche, envoie ses cheveux en arrière d’un mouvement de tête superbe, et me regarde, amusée. Puis elle réitère le petit jeu du micro, maintenant de façon ostentatoire, en prenant ma queue dans ses deux mains et en parlant au dessus les yeux fermés, comme font les chanteurs de charme qui doivent lui plaire.
« Je voudrais te sucer toute la nuit », répète-t-elle.
Cette fois, c’est encore plus fort, presque insupportable. La vibration, oui, la vibration que sa voix émet à un millimètre de mon chibre, l e »ou » et le « i » surtout, leur vibration : comme un coup tranchant qui pénètre le symbole même de la pénétration, une fréquence d’ongles crissant sur le tableau noir, et puis l’écho caverneux d’une plainte mortelle qui résonne au plus profond de mes reins, la réverbération d’une douleur lointaine et désespérée – c’est quoi cette espèce de mantra maléfique qui produit l’effet opposé de sa signification ? Car je ne me contrôle plus, c’est évident ; raté, le shavasana : la situation m’a échappé et je suis devenu une force aveugle, recrudescente, je lutte même pour plier la valeureuse résistance avec laquelle cette bouche refuse de se décoller de moi, naturellement je l’emporte, je me redresse, voilà, sur les genoux, je la relève elle aussi, de force, gâchant une pipe assurée en échange de quoi ? De ce nœud d’impératifs, de ce chaos ? L’embrasser, en reprenant du début, l’étreindre, la palper, la langue sur le cou, la langue sur les pôles de l’aimant, de la pile, de la prise électrique, les charges opposées s’attirent, les charges égales se repoussent, si votre adversaire au tennis vous attaque en coupant la balle répondez en lift car la rotation de la balle reste la même, l’empoigner, oui, la différence entre subversion et rébellion, le claquement de la vague sur le rocher, le craquement de l’œuf qui éclot, et puis la retourner, bien sûr que comme ça, c’est pire mais justement je veux que ce soit pire, je veux le pire, oui, le satanisme, iuo, erip el xuev ej, la retourner, la grande résistance des gens à admettre qu’ils se masturbent et la piètre figure que font ceux qui l’admettent volontiers, bref, elle ne veut pas se retourner, mais le sexe est manipulation, surtout pendant les vagues de chaleur exceptionnelles, et alors, l’immobiliser, Keanu Reeves arrête les balles en pleine trajectoire, au fond, j’ai déjà dû le faire pour la sauver, au fond qu’est le monosyllabe om sinon une vibration très puissante, pas besoin d’une vie antérieure, on voit chaque jour tant de visages que, lorsqu’on rencontre quelqu’un et qu’on a l’impression de l’avoir déjà vu, on l’a très probablement déjà vu, voilà, comme ça, l’immobiliser, puis la retourner, je sais, chanson, tu me l’avais dit, tu auras juste envie de rentrer chez toi, les trois stades de l’aliénation, je suis au travail et je rêve d’être à la mer, je suis à la mer et je rêve d’être à la mer, hé oui, la mer, la mer agitée, la bloquer avec un seul bras, maintenant, libérer l’autre, on remonte cette jupe, on baisse ce slip…

17 oct. 2009

Iegor Gran

Dans son premier roman sorti en 1998, Ipso facto, Iegor Gran raconte l’histoire d’un homme dont la vie bascule parce qu’il n’arrive pas à retrouver son baccalauréat et dont la libido prend des tournures inattendues.



Sur ce, je sors doucement de la salle à manger, je passe à coté de la pendule à l’entrée, et là maman me rattrape, on assiste à une scène d’Epinal, elle essuie ses larmes, elle court m’embrasser avant mon départ, allez mon petit n’écoute pas ce qui dit ton vieux père, il t’aime quand même tu sais, je sais maman je sais, on se tombe mutuellement dans les bras, on se console tant qu’on peut, c’était émouvant je peux vous le dire, les moments de cette intensité on s’en souvient toute sa vie. Brave maman, que je me disais en lui caressant la joue, comme tu es douce, tu embrasses comme une reine, tu es bien la plus belle de toutes les femmes. Tu vois comme le fruit de tes entrailles s’en est pris plein la figure dans la vie ? Mais tu vas le cajoler comme aucune Eve ne saurait le faire, oh oui t’es une experte maman, ton bambin tu le connais mieux que personne, tu sais où il faut que tu poses tes lèvres pour un maximum de plaisir, forcément je suis ta chair et ton sang, alors quand tu me prends dans ta bouche l’ajustement est parfait, le rythme ne souffre aucune critique, c’est du Mozart pur canne le long de mon sexe.

15 oct. 2009

Ian McEwan

Sous les draps et autres nouvelles est un recueil de nouvelles écrites par Ian McEwan et éditées à l'origine en Angleterre en deux ouvrages différents en 1975 et 1978. On y trouve Morte jouissance dont est tiré l'extrait ci-dessous, qui raconte la passion amoureuse d'un riche homme d'affaires pour un mannequin en plastique rencontré dans un grand magasin.

Ian Mc Ewan a obtenu de nombreux prix littéraires dont le fameux Booker Prize en 1998 et en France le Fémina étranger en 1993.


Je lui ai livré la teneur de mes pensées, alors que j’étais devant le feu de bois avec mon verre de porto. J’ai évoqué l’avenir, notre avenir commun. Je lui ai dit que je l’aimais, oui, je crois le lui avoir répété de nombreuses fois. Elle écoutait avec l’attention silencieuse que je devais apprendre à respecter en elle. Elle m’a caressé la main, elle a posé sur moi un regard émerveillé. Je l’ai déshabillée. La pauvre petite. Elle n’avait aucun vêtement sous son manteau, elle n’avait rien au monde que moi. J’ai vu la frayeur écarquiller ses yeux… elle était vierge. J’ai chuchoté à son oreille. Pour l’assurer de ma douceur, de mon savoir-faire, de mon contrôle. Entre ses cuisses, j’ai caressé avec ma langue la chaleur fétide de son désir vierge. Je lui ai pris la main, j’ai disposé ses doigts dociles autour de ma virilité palpitante (oh la fraîcheur de ses mains). « N’aie pas peur, murmurais-je, n’aie pas peur. » Silencieusement, facilement, je me suis introduit en elle, comme un vaisseau géant entre dans son port nocturne. L’éclair de souffrance que j’ai vu brûler dans ses yeux, les longs doigts agiles du plaisir l’ont vite éteint. Je n’ai jamais connu pareille jouissance, pareille entente parfaite…presque parfaite, car je dois l’avouer l’existence d’une ombre impossible à dissiper. De vierge qu’elle avait été, elle est devenue une partenaire exigeante. Elle réclamait un orgasme que j’étais incapable de lui donner, elle ne me lâchait plus, elle refusait de m’accorder le repos. Toute la nuit inlassablement, elle se tenait au bord du gouffre, du plongeon dans la plus douce des morts…mais rien de ce que je faisais, et j’ai tout fait, je lui ai tout donné, n’a pu la faire basculer.

12 oct. 2009

Gabriel Garcia Marquez

Après l'explicite transgression queer du message précédent, voici celle exprimée de manière plus pudique par Gabriel Garcia Marquez, prix Nobel de littérature en 1982. Dans Mémoire de mes putains tristes, publié en 2004 et probablement le dernier roman de l'écrivain, le narrateur est un vieil homme de 90 ans qui sentant la mort s'approcher, se paie un dernier amour en la personne d'une jeune vierge de 14 ans. Un projet mexicain d'adapter ce roman au cinéma a récemment soulevé une furieuse tempête de protestations.

Le soir de son anniversaire, j’ai chanté à Delgadina la chanson tout entière et j’ai couvert son corps de baisers jusqu’à ne plus avoir de souffle : chaque vertèbre, une à une, jusqu’aux fesses langoureuses, la hanche avec le grain de beauté, le côté de son cœur inépuisable. Plus je l’embrassais plus son corps devenait chaud et exhalait une fragrance sauvage. Chaque millimètre de sa peau me répondait par de nouvelles vibrations et m’offrait une chaleur singulière, une saveur distincte, un soupir inconnu, tandis que de tout son être montait un arpège et que ses tétons s’ouvraient comme des fleurs sans même que je les touche. Au petit matin, alors que je glissais dans le sommeil, j’ai entendu comme une rumeur de foule venant de la mer et un affolement dans les arbres qui m’ont transpercé le cœur : Delgadina ma bien-aimée, les brises de Noël sont arrivées.

11 oct. 2009

Dennis Cooper

Erotisme homosexuel et violence sont les deux ingrédients les plus visibles de l’œuvre transgressive et obsessionnelle de Dennis Cooper. Voici un extrait de la nouvelle Dîner, publiée dans le recueil Wrong en 1992.



Quelques danses plus tard, Tom suivait son partenaire au parking vers une Cadillac blanche garée à l’écart, derrière la bâtiment, près des poubelles. Dans le noir, il n’en était pas sûr, mais il lui sembla que les vitres étaient fumées.
L’homme déverrouilla les portières, ouvrit et lui fit signe de monter. Passant devant son compagnon poli, au bras tendu comme un chauffeur, Tom se glissa sur la banquette arrière en velours, jusqu’au fond. Son pied heurta une bouteille posée par terre. L’homme grimpa à ses côtés, et s’assura que les portières étaient bien fermées de chaque côté. Puis il farfouilla aux pieds du jeune garçon et attrapa la bouteille.
« Un peu de vodka ? » Il l’inclina en direction de Tom.
Ils se la partagèrent tandis que l’homme observait Tom, et que ce dernier essayait d’avoir l’air naturel. Une fois la bouteille vide, il n’y eut plus rien entre eux.
L’homme lécha l’oreille de Tom. « Si on enlevait ton pantalon ? » murmura-t-il.
Tom souleva ses hanches. L’homme fit glisser son jean. Il lui arracha ses baskets, puis Tom se pencha et enleva lui-même ses chaussettes.
Il sentit la bouche de l’homme sur sa bite encore un peu molle. «Ça devrait l’aider à durcir », pensa-t-il. Mais l’homme eut beau tout faire, si ce n’est la lui arracher à coups de dents, elle ne se raidit pas.
L’homme se reposa quelques secondes en embrassant cette queue de plus en plus ramollie, caressant machinalement les jambes de Tom. Il hésitait à faire jouir le garçon d’une autre manière, ou à se contenter de simplement suivre son plan. Ce gosse était un ange. Il avait de longues jambes hirsutes, mais partout ailleurs, c’était de la porcelaine. Son corps était svelte, et en plongeant dans ses yeux, tournés ailleurs, pleins de pensées impénétrables, il eut la confirmation de la beauté de son visage.
« Très bien. Pourquoi ne te mettrais-tu pas quatre pattes, face à la vitre ? Je veux dire, tu connais la position ? »

8 oct. 2009

Mehdi Belhaj Kacem

Mehdi Belhaj Kacem a écrit trois romans qui ne laissent pas indifférents. Certains crient au génie, d'autres à l'imposture. Le premier opus fut Cancer , écrit à moins de 20 ans et publié en 1994. Accrochez-vous!

elle halète lascive bave sa langue ne touche plus les lèvres mais salive l’air en fendillant tandis qu’elle se tortille
- Ouih !
il
arrache les délicats vêtements passe aux chaussures de même les siens elle aime enfin à fond il exhibe son bas-ventre ithyphallique sous le nez partenaire l’indéchiffrable peur revient à la charge lui ébloui de glace hérissée dans des sons d’acides ressacs battant l’esprit saturant ses tympans du dedans il s’agenouille face à la toison sacrée du publis Sublime Hosanna fusent de tous cotés l’horreur hurlant engueulant ses tympans il lèche en inconscience et inanition tout démoli de raids sonores et lames lumineuses rouges comme sa rate portée à ébullition mangée par la plante des pieds à repasser vif la vulve humide pantèle de délice
- Ouih ! Ouih !
décidant de ne pas insinuer sa langue de go il se contente des rebords du mythique petit organe érectile
infecte d’insipidité et ma langue circule luné lui fait court-circuiter le fluide nerval tête se dévissera bien de jouissance à genèse linguale secousse 9 échelle Richter ramassis de charcuterie blancheur ferme je cherche et trouve miser sur lui elle en trop qu’elle n’en puisse plus de volupté meurs où est-il enfin le voici t’es fait attendre vieux en personne le clitoris surgit irrigué de sang frétillant accompagné de feulements rauques
lape
lape Tout moi au milieu régal que ceci
il flatte de sa langue le petit bouchon rouge sirop luxurieux vraie sanie empoisonnée touche signal d’alarme générale enfoncer en cas d’incendie l’eau extinctrice vous soit lâchée en pleine gueule ardente constatez que le dispositif de sécurité ô combien au point nul danger sérieux sitôt l’incendie se déclare aussitôt éteint de suc submersion buccale comme immersion des vues par lumière brune tannée rongement son et lumière tout à nu
et je remercie le Tout
de ce suc eucharistique inodore et si nauséeux pourtant submerge ma gorge en lutte à la bile montante
tout aussi intense que le doute au réveil
mal aux veines
elle écarte complètement jambes frappées d’éclampsie préorgasmique sous l’afflux incessant d’urée de plaisir huitième ciel un peu plus enfoncé dans le vestibule
je l’aime d’Amour de tout mon être délicieuse pisseuse de jus U.H.T. lèche et pourlèche jusqu’au tréfonds
- Ouih ! Ouih ! Ouih !
le salut par l’Amour oh dieu dieu l’aime pouff permanente au harem de l’inexisté Tout Amour partout et en ombre en chair se contorsionnant secousses dictées par l’habileté de ma langue mais à la lécher si sérieux et appliqué j’en omets ma bitoune elle aussi a ses besoins en priorité
il se relève elle se pâme face
à la vision de sa pine paraissant plus vultueuse encore que tout à l’heure ravissement médusé impatience inflammables fumets émis en guise d’invitations en plus des susurrations
- Vienh !

6 oct. 2009

William Gass

L’écrivain américain William H. Gass a essayé de casser la narration traditionnelle et de développer une littérature anti-réaliste . Le Tunnel est un livre culte aux Etats-Unis, particulièrement ardu, publié en 1995 après 26 ans de travail. L’écrivain Claro a mis 6 ans pour le traduire en français. La version française est un pavé de 720 pages et un cauchemar typographique.



Un très modeste extrait :

Salut, monsieur mon mari,
Crois bien que je déplore les désagréments et le désarroi qu’a pu te causer ma répugnance buccale, mais j’ai été empoisonné un jour par une gerbe de sperme venue d’une imagination malade et j’ai dû utiliser pendant quinze jours un dentifrice spécial. Ça m’étrangle rien que d’y penser, même si ça remonte à plusieurs hivers, quand j’étais encore toute jeune et printanière.
Je suis sûre qu’un petit fumier comme toi comprendra.

4 oct. 2009

François Weyergans

En 2005, huit ans après son précédent roman, François Weyergans publie Trois jours chez ma mère, récit d'un écrivain qui n'arrive pas à écrire son roman, récit miroir aux multiples reflets. Ce livre a obtenu le Prix Goncourt.

Au Lido , ils avaient chacun une chambre mais dans l’une de ces chambres dormait une amie de Liisa et dans l’autre s’inquiétait ou s’affolait Isabella, la jeune épouse de François Graffenberg qu’on aurait étonnée en lui disant qu’il essaierait trente ans plus tard de décrire cette nuit d’amour dans un roman.
François avait esquissé une page de notes sur cette nuit-là : « Liisa en robe longue, velours et mousseline de soie. François Weyerstein en smoking. Errance toute la nuit dans Venise. Rues désertes. Ils s’arrêtent tous les dix mètres pour s’embrasser. C’est la cinquième fois qu’il vient à Venise, une ville que Liisa, arrivée l’avant-veille, découvre avec lui. Les hôtels qu’il connaît, le Bonvecchiati, le San Fantin, l’Ala, ceux de la Riva degli Schiavoni, même le Danieli trop cher pour eux, portes fermées. Ils sonnent, on leur dit que c’est complet. Ils marchent beaucoup. Liisa finit par enlever ses escarpins à talon aiguille. Sur la Piazzetta, les chaises des cafés n’ont pas été rentrées. Liisa s’assied sur les genoux de Weyerstein qu’elle embrasse dans la bouche. Ils se remettent à marcher. Un campiello, un autre baiser, un sottoportico, encore un baiser, les canaux, les ponts. Ils traversent dix fois le même campo. Liisa a les épaules nues, des épaules arrondies, un peu grasses, moelleuses, on dirait des confiseries orientales dans une ville qui l’est aussi, des épaules qui brillent et que le narrateur dévore, caresse, embrasse comme s’il avait quinze ans – il en a vingt-trois. Elle le masturbe. Elle a du sperme sur la main. Elle rit en se léchant la main. A genoux devant elle, il soulève la robe, descend la culotte, elle dit : « Non, pas ici ! » Il a la moitié du corps sous la robe longue de Liisa. Il aime l’odeur et le goût de son sexe. Elle jouit en tremblant. Elle tombe sur lui. Ils tombent tous les deux. Leurs vêtements sont froissés. Le jour se lève. Ils découvrent le marché en bas du pont du Rialto. Contraste entre les marchands, les premiers acheteurs matinaux, les poissons et ce jeune couple en tenue de soirée. Place Saint-Marc, la basilique vient d’ouvrir ses portes. Nouveau contraste entre les fidèles venus assister à la première messe et ces jeunes gens dont il n’est pas difficile de deviner qu’ils ont joui plusieurs fois dans la nuit. Liisa a remis ses escarpins et marche sur le merveilleux dallage de la basilique. Les yeux verts de Liisa éclairés par les cierges dont elle s’approche. Elle est actrice de cinéma, elle a le sens de la lumière. A l’hôtel, Weyerstein retrouve sa femme en pleurs, folle de rage et d’inquiétude. Elle l’a cherché toute la nuit, elle est allée à l’hôpital du Lido. Il répond qu’il était à Venise avec un producteur et qu’il a dû attendre le premier bateau. « Les premiers bateaux n’arrivent pas au Lido à midi. Salaud, tu es un salaud ! Et c’est quoi ce parfum ? Tu pues ! Salaud ! Salaud ! »

1 oct. 2009

Julio Cortazar

Roman labyrinthe publié en 1963, Marelle peut se lire dans l'ordre des chapitres ou dans un ordre différent proposé par l'auteur. C'est entre autres une histoire d'amour entre Horacio Oliveira et la Sybille.

Oliveira aimait faire l’amour avec la Sybille car il n’y avait rien de plus important pour elle, même si, d’une manière incompréhensible, elle restait comme en deçà de son plaisir, le rejoignant parfois, s’y accrochant, le prolongeant désespérément, c’était alors comme un éveil, comme apprendre son véritable nom, puis elle retombait dans une zone un peu crépusculaire qui enchantait Oliveira car il se méfiait des perfections, mais elle, elle souffrait véritablement quand elle revenait à ses souvenirs, tout ce à quoi, obscurément, elle aurait dû penser et ne pouvait penser, il fallait à ce moment-là, l’embrasser profond, l’appeler à de nouveaux jeux, alors l’autre, réconciliée, grandissait à nouveau sous lui et l’emportait, elle se donnait avec une frénésie de bête, les yeux perdus, les doigts crispés, mythique et atroce comme une statue roulant la pente d’une montagne, déchirant le temps de ses ongles, de ses sursauts et d’une plainte rauque qui n’en finissait pas. Une nuit, elle lui planta ses dents dans l’épaule et le mordit au sang parce qu’il se laissait aller de coté, un peu perdu déjà, il y eut alors entre eux un pacte silencieux et confus, Oliveira sentit que la Sybille attendait de lui la mort, un être obscur en elle réclamait l’anéantissement, la lente estocade sur le dos qui fait éclater les étoiles et rend l’espace aux interrogations et aux terreurs. Ce fut l’unique fois où, excentré de lui-même comme le matador pour qui tuer est rendre le taureau à la mer et la mer au soleil, il maltraita la Sybille, il la fit Pasiphaé, il la retourna et la prit comme un adolescent, il l’explora et exigea les servitudes de la plus triste putain, il l’éleva au rang de constellation, il la tint dans ses bras fleurant le sang, il lui fit boire la semence qui glisse dans la bouche comme un défi au Logos, il suça l’ombre de son ventre et de sa croupe et la remonta à son visage pour l’oindre d’elle-même en un acte ultime de connaissance que seul l’homme peut donner à la femme, il l’exaspéra à force de peau, de poils, de baves et de plaintes, il la vida jusqu’à la dernière goutte de sa force et la rejeta enfin sur l’oreiller, pleurant de bonheur contre son visage qu’une nouvelle cigarette rendait à la nuit de la chambre et de l’hôtel.

29 sept. 2009

Zhou Weihui

Le premier roman de la Chinoise Zhou Weihui, Shanghaï Baby, est publié en 1999 et connaît un succès inattendu qui pousse les autorités à le censurer et à détruire les exemplaires non vendus. Ce fut la meilleure promotion possible pour sa carrière dans les pays occidentaux. Le livre sort en France en 2001.


Le téléphone sonne alors qu’il est en train de me déshabiller. Je décroche le combiné, c’est Tiantian.
Sa voix est lointaine mais me parvient clairement mis à part quelques grésillements et miaulements dans l’appareil. Tiantian loge dans un hôtel du bord de mer. A cause de la crise monétaire asiatique, les prix ont chuté. Les chambres et la nourriture sont maintenant très abordables. Avec deux cents yuans par jour, vous couvrez largement vos dépenses. Il dit être le seul client à aller au sauna. Il a l’air heureux. Pelote se porte bien. Demain, il compte aller à la plage et nager.
Je ne sais pas quoi lui dire. Mark m’a installée sur la table, près du téléphone. Je tiens le combiné d’une main et de l’autre son épaule. La tête penchée sur mon ventre, il lèche mon sexe à travers ma petite culotte. Je suis liquéfiée, grisée par la chatouille. Je m’efforce de paraître naturelle au téléphone. Je demande à Tiantian quelle est la température ambiante, quels types de jupes portent les filles, s’il a été faire un tour sous les cocotiers, s’il ne s’est pas fait importuner. Les gens ont toujours l’air de bonne foi et laissent rarement transparaître leurs mauvaises intentions – fais bien attention à tes effets personnels !
Tiantian éclate de rire et me dit que je suis finalement bien plus méfiante que lui, que je n’ai confiance en personne et imagine toujours le pire. Il me dit aussi que j’aborde la vie de façon négative. Les paroles de Tiantian me parviennent aux oreilles comme de petites plumes légères qui se désagrègent. Je n’ai rien retenu de ce qu’il m’a dit. Son rire dit qu’il s’adapte mieux que je ne l’aurais imaginé à un environnement inconnu. Sa voix se transforme en du Beethoven joué à la lune et vient mettre un terme à mon désordre intérieur. Je ne sens plus qu’un bonheur intense qui m’arrive par le bas. Un bonheur de couleur blanche qui vous détend les muscles et vous dilate les os. Un parfum velouté de lait pur. Tiantian me souhaite le bonsoir et m’envoie des baisers sonores à travers le téléphone.
Je raccroche. Mark a répandu son foutre sur ma jupe. Blanc, abondant, du lait pur à cent pour cent.

27 sept. 2009

Philip Roth

Portnoy et son complexe fut partiellement publié par fragments dans différentes revues littéraires en 1967 et 1968 puis dans son intégralité en 1969.
C'est la confession à un psychanalyste d’Alexander Portnoy , juif new-yorkais, l’éternel bubala de sa mère, tiraillé entre ses obsessions sexuelles et ses idéaux humanitaires.


… on prie, on prie, et on prie, on élève vers Dieu ses oraisons les plus passionnées sur l’autel du siège des cabinets, tout au long de l’adolescence, on Lui offre le sacrifice vivant de ses spermatozoïdes au décalitre – et puis un soir, vers minuit, à l’angle de Lexington et de la 52e, lorsqu’on est vraiment arrivé au point de perdre sa foi dans l’existence d’une créature telle qu’on se l’est imaginée pour soi-même alors qu’on a déjà doublé le cap des trente-deux ans, elle est là en tailleur pantalon marron, essayant d’arrêter un taxi – longue et mince, avec une opulente chevelure brune, des traits minuscules qui confèrent à son visage une espèce d’expression arrogante, et un cul absolument fantastique.
Pourquoi pas? Qu’y a-t-il de perdu? Qu’y a-t-il de gagné d’ailleurs? Allez, vas-y, pauvre corniaud, ligoté, garrotté, menotté, parle-lui. Elle possède un cul avec les rondeurs et le sillon médian du brugnon le plus parfait du monde ! Parle !
« ’Soir – doucement et avec un soupçon de surprise, comme si je l’avais peut-être déjà rencontrée ailleurs… »
« Qu’est ce que vous voulez ? »
« Vous offrir un verre »
« Un vrai tombeur », dit-elle en ricanant. Au rapporteur adjoint à la commission de la Promotion de l’Homme, pour cette ville tout entière ! « Te brouter le minou, bébé, ça te dit ? » Mon Dieu ! Elle va appeler un flic ! Qui me livrera au maire !
« C’est déjà mieux », répondit-elle.
Et alors un taxi s’est arrêté et nous sommes allés à son appartement où elle a enlevé ses vêtements et m’a dit, « Vas-y. »
Mon incrédulité ! Qu’une chose pareille puisse m’arriver à moi ! Et si j’ai brouté ! C’était soudain comme si ma vie s’introduisait au cœur d’un rêve humide. J’étais là, bouffant enfin le con de la vedette de tous ces films pornographiques que j’avais produits dans ma tête depuis que j’avais pour la première fois posé la main sur mon propre nœud… « Et maintenant, à moi », dit-elle – « un service en mérite un autre », et docteur, cette inconnue s’est alors mise en devoir de me sucer avec une bouche qui devait avoir suivi des cours dans un collège spécialisé pour y apprendre tous les merveilleux trucs qu’elle connaissait. Quelle trouvaille, je me suis dit, elle vous la prend jusqu’à la racine ! Dans quelle bouche suis-je tombé ! Parlons-en de promotion ! Puis simultanément : allez, barre-toi ! Fous le camp ! Qu’est ce que ça peut bien être que cette fille !

25 sept. 2009

Adam Thirlwell

Adam Thirlwell a suscité la controverse pour avoir figurer à 24 ans sur la liste des 20 meilleurs écrivains anglais de moins de 40 ans établie par le magazine Granta en 2003 alors même que son premier roman n’était pas encore publié. Ce fut Politique sorti la même année. Il y est peu question de politique.


Voici un chapitre dans son intégralité :

L’évènement suivant de cette histoire est une pipe.
Je suppose que l’on peut considérer cela comme une bonne chose ou une mauvaise chose. Personnellement, je pense que c’était une bonne chose. Ce n’est pas parce que je pense que les pipes sont intrinsèquement une bonne chose. Bon, c’est vrai, je pense que les pipes sont une bonne chose, je suis rarement contre une pipe, mais ce n’est pas pour cela que je pense qu’une pipe avait sa place ici. J’ai une autre explication. Une grande partie de l’amour dépend du sexe. Il est difficile à l’amour de survivre sans sexe. De sorte qu’en fin de compte, s’ils doivent s’aimer vraiment, Nana et Moshe doivent en venir au sexe. Telle est ma théorie.
C’était aussi la théorie de Nana.
Et il y avait un autre motif caché derrière le comportement de Nana ce matin-là. Elle imaginait la procession infinie des maîtresses précédentes, très entraînées, de Moshe. Aucun doute là-dessus, elles étaient plus entraînées que Nana. Nana ne pouvait rivaliser avec les filles élancées du passé de Moshe. Contrairement à Nana, ces filles parfaites pouvaient marcher sur des talons de quinze centimètres de haut. Leurs poitrines étaient sans soutien-gorge et néanmoins fermes. À leurs membres rompus au yoga nulle position sexuelle n’était étrangère.
Cela devrait être une leçon pour nous tous. Les filles élancées du passé de Moshe. Je ne sais pas. C’est la conclusion d’une fille qui ne croyait pas en son pouvoir attractif. C’est la conclusion naturelle d’une fille qui ne s’enorgueillissait pas de son sex-appeal.
Si seulement les gens ne tiraient jamais de conclusions.
Nana avala de l’eau. Puis sa tête ensommeillée entreprit avec détermination la descente le long du champignon atomique noir des poils soyeux de la poitrine de Moshe, et le long de la ligne verticale moins nette de son nombril à son pubis, jusqu’à ce qu’elle atteigne son sexe. À ce moment, elle ouvrit ses lèvres incertaines enduites de baume et se fit très douce autour de Moshe. Moshe grandit, puis grandit… Il se réveilla de manière ensommeillée. Il sentit de la salive couler tiède puis froide autour de ses testicules. Cela lui procura une grande satisfaction.
Certains peuvent penser, et je le comprends, que l’exécution d’une fellation avant que l’accouplement n’ait eu lieu était contre les règles de l’étiquette sexuelle ordinaire. Cette pipe est une légère surprise, je l’admets. C’est presque une surprise pour moi. Mais l’étiquette sexuelle est variable. Elle doit s’adapter à la conjoncture – qui, dans ce cas, était caractérisée par l’inquiétude. Et dans les conjonctures sexuelles caractérisées par l’inquiétude, les gens ont souvent recours à des pratiques bien plus extrèmes qu’une tendre pipe. Une fellation préliminaire était en réalité bien insipide. Et Nana n’avait pas l’intention de faire à Moshe une pipe complète. Elle ne comptait pas aller jusqu’à l’orgasme. La pipe n’était qu’un avant-goût.
Nana essayait d’accélérer les choses. Dans cette conjoncture nerveuse, tous deux voulaient baiser. En réalité, en secret, ils voulaient avoir baisé. Tel était l’état de nervosité dans lequel ils se trouvaient. Au dessus d’elle, Moshe était nerveux. En dessous, Nana était nerveuse de le rendre nerveux.
La bouche de Nana remonta le long du sexe de Moshe et le quitta. Puis Nana se mit à quatre pattes au dessus de Moshe, et fit courir le bout de sa langue sur ses tétons platement grassouillets, rose sur rose. Et elle faisait preuve de grande bravoure, je trouve. C’est difficile – d’improviser en silence. Et Moshe lui dit : « Dismoi d’tebaiser. » Nana, l’œil concupiscent, se contenta de sourire. Il dit : « Dis-moi. »
Comme chacun sait, le sexe est un jeu de domination.
Nana regardait Moshe. Elle se demandait si Moshe n’allait pas trop vite. Mais comme elle voulait que son chéri rondouillard soit content aussi, elle dit : « Baise-moi. » Elle prononça : « Baizmoi. Baizmoooooi. »
Et alors, et alors, Moshe fut cochon. Il se mit à ralentir. Tel un pro, il se contenta d’insinuer un doigt, touchant son con là où elle était.
Elle en ferma les yeux de bonheur.

23 sept. 2009

Verlaine

Poème écrit en 1891 tiré du recueil Hombres (Hommes) mais seulement publié (discrètement en 525 exemplaires) en 1903 après la mort de Verlaine. Ecrit pour choquer le bourgeois hygiéniste de l'époque.

Un peu de merde et de fromage
Ne sont pas pour effaroucher
Mon nez, ma bouche et mon courage
Dans l’amour de gamahucher.

L’odeur m’est assez gaie en somme,
Du trou du cul de mes amants,
Aigre et fraiche comme la pomme
Dans la moiteur de saints ferments.

Et ma langue que rien ne dompte,
Par la douceur des longs poils roux
Raide et folle de bonne honte
Assouvit là ses plus forts goûts,

Puis pourléchant le périnée
Et les couilles d’un mode lent,
Au long du chibre contournée
S’arrête à la base du gland.

Elle y puise âprement en quête
Du nanan qu’elle mourrait pour,
Sive, la crème de quéquette
Caillée aux éclisses d’amour

Ensuite, après la politesse
Traditionnelle au méat
Rentre dans la bouche où s’empresse
De la suivre le vît béat,

Débordant de foutre qu’avale
Ce moi confit en onction
Parmi l’extase sans rivale
De cette bénédiction !