29 avr. 2010

Niccolo Ammaniti

Lauréat du prix Strega en 2007, Niccolo Ammaniti publie en 1999 Et je t'emmène, histoire du musicien Graziano qui s'éprend d'Erika dont l'amour pour lui n'est pas aussi fort qu'espéré.


A la fin du concert, après la énième reprise de Samba pa ti, après le énième baiser à l’Allemande cramée par le soleil, Graziano salue Pablo et fonce aux chiottes soulager sa vessie et se recharger avec une bonne ligne de bolivienne.
Au moment où il en sort, une grosse brune bronzée genre pain brûlé, avec pas mal d’heures de vol mais deux nichons comme des montgolfières, entre dans les toilettes.
«C’est chez les hommes ici…» lui fait remarquer Graziano, en indiquant la porte.
La femme l’arrête d’une main. «Je voudrais te faire une pipe, ça te dérange pas?»
Depuis que le monde est monde, une pipe ne se refuse jamais.
«Entre, je t’en prie, lui dit Graziano en indiquant les toilettes.
- Attends, d’abord je veux te montrer un truc, dit la brune. Regarde là-bas, au centre de la salle. Tu vois le mec à la chemise hawaïenne ? C’est mon mari. On vient de Milan…»
Le mari est un type fluet et gominé, en train de se goinfrer de moules au poivre.
«Salue-le.»
Graziano fait un signe de la main. Le type soulève sa flûte de champagne puis applaudit.
«Il t’estime vraiment beaucoup. Il dit que tu joues comme un dieu. Que tu as le don.»
La femme le pousse dans le cabinet. Boucle la porte. S’assied sur la cuvette. Déboutonne son jean et dit: «Mais maintenant, on va le faire cocu.»
Graziano s’appuie au mur, ferme les yeux.
Et le temps s’évanouit.

Telle était la vie de Graziano Biglia à cette époque.

25 avr. 2010

François Bégaudeau

 Créateur polymorphe, François Bégaudeau a publié en 2009 vers la douceur , un roman qui nous raconte dans le désordre des tentatives d'histoires d'amour.


 …elle a allumé une cigarette avec un briquet Star Wars en disant que
- je suis restée huit ans sans baiser, 96-2004. 96 c’est quand mon mari m’a plaquée, 2004 c’est le mariage de ma nièce, il y avait un type qui me faisait de la braguette sur un slow, il sentait le cognac mais plutôt beau, je me suis dit allez hop on y retourne.
Le serveur a déposé deux assiettes copieuses sur la nappe en papier. Elle a commencé à sectionner la viande brune.
- En deux ans, je me suis tapé, quoi, six mecs, peut-être sept. C’est pas mal quand même pour une vieille. Le problème c’est qu’il faut faire la maman la confidente la maîtresse la fellation et tout.
- Tout!
- Y’a pas marqué couteau suisse, là.
D’un index elle s’est barré le front. Elle ne croyait plus en l’amour. Pas pour elle du moins. Trop dur.

19 avr. 2010

Roberto Bolaño

Appels téléphoniques est un recueil de 14 nouvelles écrit par Roberto  Bolaño et publié en 1997. Voici un extrait tiré de la nouvelle Joanna Silvestri. Une femme agonisante, ancienne actrice porno, se souvient se son amour pour Jack , acteur lui aussi et malade du Sida.
En France, la plupart de ses oeuvres ont été publiées après sa mort en 2003.


Un jour à midi, Jack a fait son apparition sur les lieux du tournage. J’étais à quatre pattes et je suçais Bull Edwards, pendant que Shane Bogart me sodomisait. Au début je ne me suis pas rendu compte que Jack se trouvait sur le plateau, j’étais concentrée sur ce que je faisais, ce n’est pas facile de gémir avec une queue de vingt centimètres qui entre et qui sort de votre bouche, des filles très photogéniques deviennent hideuses à faire peur dès qu’elles se mettent à sucer une queue, elles sont affreuses, peut-être trop appliquées, moi j’aime que mon visage soit beau à voir. Bon, j’étais concentrée sur le travail et de plus, à cause de ma position, je ne pouvais pas voir ce qui se passait autour, alors que Bull et Shane, qui étaient à genoux mais le buste relevé, eux se sont aperçus que Jack venait d’entrer et les verges ont presque instantanément durci, et pas seulement Bull et Shane, mais le réalisateur, Randy Cash et Danny Lo Bello et sa femme, et Robbie et Ronnie, et les électriciens et tout le monde, je crois, sauf le cameraman, qui s’appelait Jacinto Ventura et qui était un type très drôle et très professionnel, et qui de plus ne pouvait littéralement pas quitter des yeux la scène qu’il était en train de filmer, tous, ai-je dit, réagirent d’une manière ou d’une autre à la présence inespérée de Jack et il s’est fait alors un silence sur le plateau, non pas un silence lourd, non pas un silence annonciateur de mauvaises nouvelles, mais un silence lumineux, oui, je peux l’appeler comme ça, un silence d’eau tombant au ralenti, et j’ai senti ce silence et j’ai pensé que ce devait être parce que je me sentais bien, parce que c’étaient de beaux jours en Californie, mais j’en senti aussi quelque chose de plus, quelque chose d’indéchiffrable qui s’approchait précédé par les coups rythmique des hanches de Shane sur mes fesses, par les doux chocs de Bull sur mes lèvres, et j’ai su alors qu’il arrivait quelque chose sur le plateau, mais je n’ai pas levé les yeux, et j’ai su aussi qu’il arrivait quelque chose qui m’incluait et ne touchait que moi, comme si la réalité s’était fêlée, une fêlure qui la parcourait d’une extrémité à l’autre, semblable à la cicatrice que laissent certaines opérations, qui va du cou jusqu’à l’aine, une cicatrice boursouflée, rugueuse, dure, mais j’ai tenu bon et j’ai continué ma scène jusqu’au moment où Shane a retiré sa verge de mon cul et a déchargé sur mes fesses et où Bull peu après l’a suivi et a éjaculé sur mon visage.

14 avr. 2010

Chuck Pahlaniuk

Dans Choke, roman publié en 2001, Chuck Pahlaniuk raconte l'histoire de Victor Mancini obsédé sexuel et perturbé par une enfance chaotique auprès d'une mère psychotique. Pour guérir de son addiction, Victor se lance dans une thérapie de groupe dont l'extrait suivant nous présente quelques membres.


Dans les années cinquante, un fabricant d’aspirateurs de premier plan a essayé d’améliorer un peu son modèle. En lui adjoignant une hélice rotative, une lame affilée comme un rasoir et montée à quelques centimètres de l’embouchure du tuyau de l’appareil. Le flux d’air aspiré faisait tournoyer l’hélice, et la lame déchiquetait en miettes moutons, bouts de ficelle, ou poils de chat ou de chien susceptibles de boucher le conduit.
En tout cas, c’était ça, l’intention première.
Ce qui est arrivé, c’est que, parmi tous les mecs qui sont ici, ce soir, il y en a plein qui se sont précipités aux urgences de l’hôpital, la queue tailladée en morceaux.
En tout cas, c’est ça, le mythe.
Cette vieille légende urbaine à propos de la fête surprise pour la belle ménagère, avec tous ses amis et sa famille, cachés dans une pièce, qui, lorsqu’ils ont jailli de là en hurlant «Joyeux Anniversaire», ont trouvé la jolie jeune dame étendue sur le canapé en train de se faire lécher l’entrejambe couvert de beurre de cacahuète par le chien de la maison.
Eh bien, cette jeune femme, elle existe.
La femme de légende qui taille des pipes au volant, sauf que le mec perd le contrôle du véhicule et freine de manière si brutale que la femme lui sectionne la moitié de la queue, eh bien, oui, ces deux-là, je les connais.
Ces hommes et ces femmes, ils sont tous ici.

9 avr. 2010

Patrick Grainville

Dix ans après avoir obtenu le prix Goncourt, Patrick Grainville publie en 1986 Le paradis des orages, un roman plein de frénésie érotique, le récit des relations amoureuses vécues par un professeur de lycée. Le voici en compagnie d'une jeune fille qui s'est jurée de rester vierge.


Je frôlerai mais laisserai le portail intact. Elle me le fait jurer une nouvelle fois. Puis par un renversement auquel je m’attendais un peu, sa reconnaissance la conduit à esquisser une promesse lointaine. Peut-être qu’un jour elle surmontera l’obstacle, peut-être qu’elle acceptera graduellement ce qu’elle refuse aujourd’hui. Elle sait que qu’avec le temps et la confiance elle pourrait évoluer. Rassurée elle m’étreint avec des assauts de fougue qui ne comportent pas que de la tendresse. Car elle m’offre ses seins, fourre ses jambes entre mes cuisses, ouvre toute grande sa bouche. Je bande excessivement contre son ventre. Je lui pelote les fesses à les faire éclater. Je remonte dans le lit et présente le membre devant sa bouche. Elle n’hésite pas et le baise. Je constate qu’en dehors du tabou de l’hymen les autres interdits sont d’une résistance nulle. Mais je connais ces paradoxes du bien et du mal. Totalement confortée sur l’essentiel, elle abandonne le reste avec facilité. Je lui apprends à sucer. Mon gland s’enfonce dans l’urne de ses lèvres lourdes et mauves. Bouche sombre dont le dedans très rose se retrousse sur le frein de la verge. Visiblement ce pompier l’étonne et l’amuse. Elle se prête à toutes les facéties.

5 avr. 2010

Ryu Murakami

Le premier roman de Ryu Murakami, Bleu presque transparent, est publié en 1976 et connaît un large succès au Japon, couronné par le prestigieux prix Akutagawa.Ces chroniques de la vie d'un groupe d'adolescents oscillent entre sexe, violence et drogue.
Voici une scène où ces jeunes Japonais se retrouvent en compagnie de soldats noirs américains. Imaginez les dans une pièce à l'atmosphère saturée en vapeurs de haschich.


Pendant que nous mangeons les fruits empilés sur une assiette et que nous buvons du vin, la pièce entière succombe sous le viol de la chaleur. Je voudrais qu’on m’ôte la peau, comme on pèle un fruit. Je voudrais m’imbiber de la chair huileuse et luisante des Noirs, les avaler crus et les bercer au fond de moi.
Tartelette aux cerises.
Grappe de raisin sur fond rose de paumes noires.
Pattes de crabe à la nage encore fumantes, brisées net avec un bruit de bois sec.
Vin d’Amérique violet pâle, lumineux et sucré.
Cornichons pareils à des doigts de cadavre couverts de verrues.
Sandwiches au bacon faisant penser à des lèvres autour d’une langue de femme.
Salade dégoulinante de mayonnaise rose.
Dans la bouche de Kei, jusqu’à la glotte, l’énorme pine de Bob.
- Je veux voir qui c’est qu’a la plus grosse…
Elle avance à quatre pattes sur le tapis, comme une chienne, ouvrant la bouche et la refermant sur chaque membre tour à tour.
Ayant décidé que la palme revient à Saburô, un métis d’Indien et de Japonaise, elle saisit un dahlia, un cosmos, qui décorait une bouteille de Vermouth vide, et lui pique dans le méat en guise de prix.

2 avr. 2010

Annie Ernaux

Se perdre, publié en 2001, est le récit par Annie Ernaux de sa liaison avec un diplomate russe.



15h30. Il est arrivé quand je finissais d’écrire «cependant». Est-ce le beau temps? Une belle rencontre. Il apporte des cadeaux, il me promet une photo. Et je pense qu’il m’aime un peu, à sa façon, dans une case extraconjugale, «classée», mais peut-être pas autant que je le crois. Attachement sensuel aussi, un peu fou. Cette impossibilité de savoir ce que je suis pour lui, bien plus grande que pour P., si excitante en même temps. Il avait sa «belle voiture», quelque chose de commun, oui, avec mon ex-mari, socialement. Comme je suis fatiguée. Comme je suis heureuse de le faire jouir, de le rendre heureux. «Qu’est-ce que tu fais?» dit-il, avec son accent russe, quand il éprouve du plaisir sous ma bouche. Inoubliable. Mais en d’autres termes, je suis mal barrée, c’est la perdition, la dépense sans compter de mon énergie, de ma vie.