7 déc. 2012

Raymond Carver

Raymond Carver est connu et célébré pour ses nouvelles marquées du sceau de la banalité, dénuées de véritables fins, pleines de personnages pour qui la vie n'est pas très facile. En 1993 est publié le recueil Neuf histoires et un poème qui regroupe les nouvelles dont s'est inspiré Robert Altman pour tourner le film Shortcuts. L'extrait suivant est tiré de la nouvelle Les vitamines du bonheur. Le narrateur, le mari de Patti, la vendeuse de vitamines, sort avec Donna dans un bar fréquenté par des Noirs. Ils tombent sur Benny et son ami Nelson qui se balade avec une oreille humaine rangée dans un étui à cigarettes.


Nelson demeura immobile. Puis il se mit à tâter les poches de son pardessus. Il en sortit  des affaires. Il sortit les clés et une boîte de boules de gomme.
- Je n'ai pas envie de voir une oreille, dit Donna. Berk. Deux fois berk. Nom d'un chien !
Elle me regarda.
- Il faut qu'on s'en aille, dis-je.
Nelson continua à tâter ses poches. Il sortit un portefeuille de la poche intérieure de son veston, le posa sur la table, et le tapota de la main.
- J'ai cinq grands formats, là-dedans. Ecoute-moi bien, dit-il à Donna. Je vais te donner deux billets. Tu me suis ? Je te donne deux gros billets, et tu me tailles une pipe. Comme sa nana est un train de faire avec un autre. Tu m'entends ? Tu sais qu'elle est en train de tailler une pipe à un mec pendant que t'es là, avec sa main sous ta jupe. C'est de bonne guerre. Tiens.
Il tira les coins des billets de son portefeuille.
- Voilà un autre billet de cent pour ton petit copain, pour qu'il se sente pas largué. Il a pas besoin de rien faire. T'as pas besoin de rien faire, me dit Nelson. Tu restes là à boire ton coup en écoutant la musique. Bonne musique. Moi et la nana, on sort ensemble comme des bons copains. Et elle revient toute seule. Ça sera pas long.
- Nelson, dit Benny. C'est pas des façons de parler, Nelson.
Nelson sourit de toutes ses dents.
- J'ai fini de parler, dit-il.