27 avr. 2013

John Irving

John Irving a publié en 1972 L'épopée du buveur d'eau, son second roman. C'est l'histoire de Fred Bogus Trumper à qui rien ne réussit. En voici une illustration dans le domaine des relations avec les femmes. La scène se déroule dans la voiture de Lydia qui a décidé de faire le premier pas pour stimuler les ardeurs amoureuses de Bogus.


Lydia se redresse sur ses genoux, s'éloigne un peu de moi et ôte sa jupe ; sous sa culotte à fleurs, m'apparaît le plus minuscule des renflements pubiens. Voyant ses mains occupées, je fais glisser les brides de son soutien-gorge.
- Je suis si plate ! s'excuse-t-elle d'une petite voix.
Je fais descendre mon pantalon sur mes chevilles. Soulevant les pieds, mes talons maladroits appuient sur le klaxon ; toutes fenêtres fermées, le son semble provenir d'une autre voiture ; Lydia se frotte brusquement contre moi, me permettant de déboucler son soutien-gorge. Sur l'étiquette, on peut lire : " Menus plaisirs ".
On ne peut plus vrai.
Ses petits seins durcis se pressent contre moi, et j'arrache tant bien que mal ma chemise, conscient que la braguette de mon caleçon bâille et que Lydia scrute précisément cet endroit ; elle se tient raide, mais ses hanches m'aident à la débarrasser de son slip. J'entrevois un grain de beauté parmi les fleurettes bleu layette et rose layette.
- Tu as de touts petits tétons, me dit-elle en y promenant ses doigts.
Moi j'emprisonne ses deux petits nénés ronds - au toucher : des oranges - dont les tétons sont aussi durs que le levier de vitesse qui me rentre dans le mollet. Avec lenteur, je l'étends, admirant pour la première fois ce corps soyeux et compact, ces seins haut dardés, cette légère traînée de poudre de riz autour de cette fente toute proche. Elle attire ma tête vers la traînée de poudre, mais l'odeur me révulse l'estomac. C'est celle du shampooing de Colm : NE PIQUE PAS LES YEUX.
- S'il te plaît, exhale-t-elle.
S'il me plaît quoi ? J'espère qu'elle ne va pas me laisser prendre l'initiative. J'ai toujours eu un problème pour prendre des décisions.
Embrasser la douce bande de chair située sous le nombril ; voir la marque que l'élastique de son slip a gravée sur le petit renflement de son ventre. Je n'arrive pas à me rappeler le moment où ses dessous sont partis, et ça m'ennuie. Etait-ce de son propre chef ou du mien ? Un moment pareil ne devrait pas s'oublier ! Je repose mon menton râpeux sur sa toison duveteuse. Quand je bouge, quand elle sent mon baiser, elle m'empoigne la tête et me tire violemment les cheveux par deux fois. Puis ses cuisses se détendent, et elle applique ses paumes sur mes oreilles pour que je puisse écouter la mer en stéréo - ou plutôt le réservoir de Coralville en crue, qui va transformer notre colline en îlot ; nous laisser là, abandonnés sous les vols des canards nocturnes, environnés de l'odeur poussiéreuse montant comme une brume des champs de soja.
Elle relâche une de mes oreilles, je reçois le bruit de la mer en mono. J'aperçois la main libre de Lydia tâtonner sur le sol, puis fouiller dans la veste de son tailleur poire. Qu'y a-t-il dans la manche ? Elle me dit :
- Je cherche un préservatif. C'est une fille, à la pension ... elle en avait un...
Mais sa main ne peut pénétrer dans le poignet de la veste, et elle est obligée de secouer le vêtement.
- Il y a une poche secrète dans la doublure.
Pour quoi faire ?
Je vois ses seins en mouvement ; je vois ses dents plantés dans sa lèvre inférieure ; je vois sa cage thoracique s'incliner, se redresser ; je vois l'enveloppe métallisée de la capote entrer dans mon champ visuel, posée sur son ventre ; puis Lydia retombe en arrière, la chair frémissante, les reins tumultueux. Du coin de l'oeil, je distingue son bras, son poignet, sa main refermée sur ce qui doit être un bout de pumpernickel émietté. Ses cuisses se raidissent, me giflant le visage ; j'entends le papier d'étain crisser et se déchirer.
Je me demande si elle l'entend aussi. Posant ma tête sur ses seins, j'écoute les palpitations de son coeur. Son épaule pend au dessus du siège, l'avant-bras dirigé vers le sol. Son poignet est courbé à angle droit, tellement qu'il semble brisé ; ses longs doigts allongés sont immobiles, et le soleil à travers la vitre est juste assez fort pour faire briller sa bague ; un peu trop large pour son doigt, elle a glissé par terre.
Je ferme les yeux dans sa fente poudrée, identifiant un parfum de musc sucré. Mais pourquoi donc mon esprit évoque-t-il des abattoirs, et toutes les jeunes filles violées pendant les guerres ?
Ses cuisses se ferment doucement sur la partie caoutchoutée de frais, et elle me demande :
- Alors ? C'est pour aujourd'hui ?

21 avr. 2013

Margaux Fragoso

J'ai rencontré Peter quand j'avais sept ans et j'ai eu une relation avec lui pendant quinze ans, jusqu'à ce qu'il se suicide à l'âge de soixante-six ans. C'est par ces mots que débute Tigre, Tigre ! , le récit autobiographique qu'a publié Margaux Fragoso en 2011. L'univers dans lequel vivaient cette enfant et cet homme n'a été rendu possible que par le secret  qui l'entourait.


Il me serra soudain dans ses bras, presque trop fort. "Je t'aime tellement, Margaux, tu ne comprends pas. Margaux, Margaux. Tu es unique au monde. Personne ne te ressemble, personne au monde. Tu as été créée pour moi. Tu es mon ange gardien. Tu es mon amour. Ce n'est pas mal de t'aimer, pas quand l'amour est si beau. Nous sommes faits l'un pour l'autre ; oublie ce que racontent les autres. Oublie tout : nous sommes les deux seules personnes qui comptent dans ce monde : toi et moi."
Je l'embrassai, en mettant ma langue dans sa bouche. Nous nous embrassâmes un certain temps. Puis je posai la main sur la bosse de son survêtement.
"Tu n'as pas peur de moi, dis ?"
Je secouai la tête.
"Je suis amoureux de toi. Il n'y a personne d'autre, Margaux. Personne ne me fait sentir ainsi. Je t'aime inconditionnellement. Tu as un immense pouvoir, un incroyable pouvoir sur moi et je te fais confiance. Je mets ma vie entre tes mains."
Je baissai son pantalon ; ce geste soudain parut le surprendre. Son pénis ne paraissait pas aussi effrayant et dégoûtant qu'avant. C'était une partie du corps naturelle, pas honteuse du tout ; je le savais maintenant. Je le touchai et il commença à augmenter en volume ; Peter me dit de ne pas avoir peur - que c'était normal. La peau se tendit, les veines devinrent plus rigides ; elles me faisaient penser à des plantes de terrarium, mais bleues. Le sac poilu qui était dessous paraissait plus tendu aussi ; j'y touchai et ça glissa sous la pression de ma main comme un bol de gelée Jell-O. Mais l'autre truc - je ne pouvais en croire mes yeux : ça continuait à grandir magiquement. Je pensai à Alice au pays des merveilles et à ses flacons de potion et à des pastilles à la menthe et autres champignons magiques. Il y avait des potions qui la rendaient plus grande ; d'autres qui la rapetissaient. Elle pouvait être aussi petite que mon petit doigt, ou aussi grande que Godzilla ou King Kong. Le pénis de Peter n'était pas contrôlé par des pastilles à la menthe - je commençais à comprendre que je le contrôlais. J'en connaissais assez maintenant sur le pourquoi du comment pour savoir que si je n'avais pas été là, il ne serait pas devenu grand.
Je fixai l'ampoule nue, éblouissante. Une mouche courait dessus. "Tu veux que je t'embrasse là, Peter ? Pour ton anniversaire ?
- J'aimerais beaucoup ça, mon coeur."
Je l'embrassai sur le petit oeilleton. Il n'y avait pas de pipi là, pas de pipi qui venait. Peter m'avait expliqué que le pipi ne pouvait pas sortir quand c'était dur. Pas de pipi, me disais-je en l'embrassant plusieurs fois, pas de pipi, pas de pipi. Pas de sang, pas de sang. Ni de cire ou de mucus ou de sueur. Rien ne pouvait sortir de là.
"Voudrais-tu le sucer ? Comme tu ferais avec une sucette ?"
Il y avait une histoire dans un livre ancien qui appartenait à ma mère quand elle était petite : le livre géant des contes de fées ; maintenant il était à moi. Je pensai au conte qui s'appelait La sucette sans fin ; c'était l'histoire d'un garçon, Johnny, qui suce et suce une sucette jusqu'à ce qu'elle devienne tellement grande qu'elle est plus grande que lui. La sucette géante est installée dans la rue comme décoration, vu qu'elle a la taille d'un lampadaire.
Je suçai le pénis de Peter, la tête toujours aux histoires de mon livre. Il y en avait une autre qui s'appelait Vilain Petit Rat. Vilain petit rat est l'ami de la petite Donnica ; c'est un gentil petit rat, sauf qu'il ne peut pas s'empêcher de faire des bêtises et de casser des trucs dans la maison. Alors la mère de Donnica essaie de le tuer ; elle tente de le noyer en l'enfermant dans un carton, mais le carton se défait et il s'en sort. Elle tente de l'expédier à bord d'un deltaplane. Elle le ligote dans la forêt pour qu'une chouette le mange. Elle a beau tout essayer pour se débarrasser de lui, il revient sans arrêt. Finalement il décide qu'il veut devenir sage. Il se met à faire tout ce qu'on lui dit. Il fait la vaisselle ; il dit ses prières. Peut-être même qu'il boit un verre de lait comme celui que ma mère me donnait tous les soirs pour la vitamine D. Peut-être étais-je une souris qui buvait du lait au bol du chat sur le sol de la cave ? Peut-être étais-je un bébé avec un biberon ? Peut-être, en fait, étais-je en haut avec Karen à boire vraiment du lait avec des Pépitos ? Etais-je en haut ou en bas ? C'était la première chose à savoir. Il fallait que je me concentre. Est-ce que j'étais en haut ou en bas ? Ou bien - est-ce que j'habitais dans l'appartement de la 32ème rue, ou dans la nouvelle maison de Papa ? Quel âge avais-je ? Quel jour de la semaine était-on ? Est-ce que j'étais Karen, en haut, buvant un verre de lait ? Ou Margaux, en bas, lapant le bol du chat ?
J'eus soudain l'impression d'être de la taille d'un ongle de pouce. Puis je me rendis compte que j'étais en train de regarder un pouce. Le pouce de Peter. Et ensuite, que je regardais vers le haut, le visage de Peter. Dès qu'il vit que je le regardais, il tapota ma tête.
"Je t'aime, dit-il. Je t'aime tellement, ma chérie, tellement. Tu devrais arrêter maintenant, mon coeur. Arrête, mon coeur." Sa voix rendait un son étrange, étranglé. " Tu es si belle. Si belle et si aimante ; et c'était une si belle soirée. Merci. Merci du fond du coeur, ma chérie, merci de m'aimer. Merci de m'accepter." Il eut un large sourire et remonta son pantalon d'un geste vif. "C'est le meilleur anniversaire de ma vie !"