27 déc. 2013

Jean Rolin

Dans Un chien mort après lui, publié en 2009, Jean Rolin nous livre le récit d'une quête des chiens errants qui l'a mené aux quatre coins du monde. Ce texte est l'occasion de fournir diverses digressions, dont la suivante présentée ici.

Cette réflexion d'Eduardo me rappela dans quelles circonstances j'avais vu pour la première fois un chien errant de México : c'était à Paris, rue Rambuteau, dans le film de Carlos Reygadas intitulé Batalla en el cielo. Le premier plan de ce film, un plan extrêmement long, montre une jeune femme de la bonne société, agenouillée, en train de sucer le sexe du chauffeur de son père. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une scène excitante, les deux protagonistes témoignant d'une égale morosité. Dans le plan suivant, c'est la nuit, vraisemblablement le jour ne va pas tarder à se lever, et on retrouve le chauffeur, plus alerte, défilant avec la fanfare aux accents de laquelle est envoyé chaque matin le gigantesque drapeau qui flotte dans la journée au-dessus de la place du Zocalo. Un chien errant, comme il s'en rencontre beaucoup dans ce quartier historique de México, passe dans le champ, qu'il se soit trouvé là par hasard au moment où la scène était tournée, ou qu'on l'y ait délibérément fait figurer.

15 déc. 2013

Mordecai Richler

Le monde de Barney, publié en 1997, est le dernier roman écrit par l'écrivain canadien Mordecai Richler. C'est est un de ses grands succès. Oeuvre en partie autobiographique, le roman retrace la vie du juif Barney Panofsky, installé pendant un temps à Paris où son appétit pour la vie trouve matière à s'exprimer, comme en témoigne l'extrait suivant.


Si S. reconnaît avoir atteint la quarantaine, je la soupçonne d'être plus avancée en âge, ce dont témoignent ses vergetures. Celle qui a décidé d'être ma houri ne risque guère d'être confondue avec Aphrodite mais elle a de la joliesse et elle est mince. Elle commence à s'imbiber dès le matin ("gin-martini, comme la reine d'Angleterre", précise-t-elle), et c'est elle qui a bu presque toute la bouteille de vin au dîner ce soir, tout en me faisant comprendre d'un signe qu'elle avait les jambes écartées sous la table, une invite à retirer une chaussure et la chaussette afin que je la masse avec mes doigts de pied en catimini.
Ensuite nous nous réfugions dans ma sordide chambre d'hôtel que S. affecte d'adorer parce qu'elle comble sa "nostalgie de la boue" et correspond à son idée de ce que doit être le lot d'un jeune artiste méritant. Nous copulons à deux reprises, une fois en proue, une autre en poupe, puis je me refuse de me prêter au cunnilingus, ce qui la rend maussade. Elle retrouve néanmoins tout son allant lorsque, à sa demande insistante, je lui lis un passage de mon futur roman, qu'elle trouve "merveilleux, vraiment remarquable".
Elle rêve d'apparaître dans ma prose, sous le nom d'Héloïse si possible.