17 juin 2017

Régis Jauffret - bis

A une époque lointaine dont les lecteurs se souviennent à peine, Regis Jauffret fit son entrée dans cette anthologie. Comme la qualité d'écriture mérite d'être généreusement honorée, il a droit à une deuxième entrée magna cum laude. Cette fois, pour un passage extrait  d'Asiles de fous, prix Femina en 2005: une mère s'adresse à la fille qu'elle n'a jamais eue.


En attendant, agenouille-toi devant celle qui aurait pu devenir ta maman, ton modèle, et espère lui ressembler, l'équivaloir, lui servir de miroir, suce mon fermoir, lèche mon portail, imite ton père, cette mauvaise gouine, avec sa langue rêche, son clitoris vaniteux, qui vexait mes chairs à chaque fois qu'il outrepassait les bornes, entrant tambour battant dans ma ville, campant sur mon île, croisière sur le Nil, ta mère Pyramide pleine de nouveau-nés, ta mère pharaon certes, mais surtout scribe, et tu peux toujours discuter tes créances, elles sont inscrites sur mes tablettes, espèce de fillette née pour enfunébrer avec la complicité de l'amour, et si les bébés restent en toi comme des crottes, si tu refuses de les provoquer, de les expulser, si tu te refuses à la maternité, je te conchie d'avance, démente célibataire, langouste sans ambition, tu traîneras toute ta vie des minots imaginaires, des salopiots d'autant plus impossibles à élever, à remettre à leur place, en un mot à aimer, qu'ils n'existeront que dans ta tête de fille qui n'en fait qu'à sa tête, qui désobéit à sa mère, qui refuse de peupler son ventre, de vaginer des mômes pour perpétuer la tradition.

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