17 déc. 2018

Juan José Saer


L'écrivain argentin Juan José Saer a publié en 1983 L'ancêtre, traduit en français en 1988. Un jeune espagnol partage la vie d'une tribu d'Indiens qui ont massacré ses compagnons d'expédition. Et il y est témoin de scènes hallucinantes et fantasmatiques d'anthropophagie et d'orgie.


Le crépuscule s'emplit de halètements, de cris étouffés, de soupirs, de râles, de lamentations. Certains s'ébattaient par couples, d'autres en trios, ou à quatre ou cinq, et même en groupes d'une douzaine et plus. Une petite fille de sept ans à peine, à quatre pattes, entrouvrait d'une main décidée sa vulve serrée en provoquant d'un regard vicieux, par-dessus son épaule, un jeune garçon qui attendait, debout derrière elle, un gros bâton lisse et arrondi dans une main, et qui, de l'autre , caressait sa verge pour anticiper son plaisir. Un homme se flagellait avec une branche feuillue. Deux autres, couchés sur le côté, tête-bêche, suçaient chacun, absorbés, le membre de l'autre. Il y en avait qui s'accouplaient, eût-on dit, avec un être invisible car, si c'étaient des hommes, ils fendaient l'air de leur verge en un va-et-vient continu et , si c'étaient des femmes, elles se contorsionnaient à quatre pattes et remuaient leur croupe comme si, véritablement, elles eussent quelqu'un en elles, à tel point qu'on voyait parfois jaillir l'achèvement comme dans un accouplement véritable ou bien qu'on entendait les femmes gémir comme lorsqu'elles atteignent, pénétrées pour de bon, le paroxysme.

18 juin 2018

Ferdinand von Schirach

L'avocat Ferdinad von Schirach est entré tardivement en littérature mais il y a rencontré un succès international. Son roman Tabou publié en 2013 raconte l'histoire du photographe Sebastian von Eschburg et c'est une réflexion sur la vérité, la réalité et la manipulation. Dans l'extrait suivant, Eschburg se retrouve dans un hôtel de Deauville en compagnie de son amie Sofia.


Elle hocha la tête. Puis elle se leva, ouvrit la porte qui donnait sur le couloir. Elle revint se coucher, releva la chemise d'Eschburg, lui ôta son pantalon. Elle embrassa son torse, son ventre, glissa entre ses jambes. Il voulut l'attirer à lui mais elle le repoussa doucement. Il sentit ses seins frôler ses cuisses. D'un geste, elle écarta ses cheveux pour qu'il pût mieux la voir.
Il se demandait si tout cela avait un sens : cette chambre, le tableau qui était accroché au-dessus du divan, le balcon avec son garde-fou en fer forgé. Il fallait bien qu'il y eût une signification, mais il n'aurait pas su dire laquelle.
Il mit longtemps à jouir.
Dès le point du jour, il descendit chercher croissants et café dans la salle de petit-déjeuner. Sofia s'était rendormie. Elle avait la bouche ouverte, on eût dit un petit enfant. Il prit son café sur le balcon. La pluie assombrissait la plage.

20 mai 2018

Sofi Oksanen

Figure phare de la scène littéraire finlandaise, Sofi Oksanen a publié en 2008 Purge, qui obtient en France le prix Femina étranger 2010. Ce roman est l'histoire de deux femmes et à travers elles l'histoire d'un pays, l'Estonie. L'une d'elle est la jeune Zara, séquestrée et contrainte à la prostitution par la mafia russe. Dans un bordel berlinois, Zara est Natacha.


Personne ne demandait d'où elle venait, ou ce qu'elle ferait si elle n'était pas ici.
Parfois quelqu'un demandait ce qu'aimait Natacha, ce qui faisait mouiller Natacha, comment Natacha voulait se faire baiser.
Parfois quelqu'un demandait ce qui la faisait jouir.
Et c'était encore pire, parce qu'elle n'avait pas de réponse à ça.
Si on interrogeait Natacha, elle avait des réponses toutes prêtes.
Si on l'interrogeait elle-même, il fallait un petit moment pour qu'elle ait le temps de se demander ce qu'elle répondrait si on posait une question sur Natacha.
Et ce petit moment révélait au client qu'elle mentait.
Alors commençaient les exigences.
Mais cela arrivait rarement, presque jamais.
En général, elle devait juste dire qu'on ne l'avait jamais aussi bien baisée. C'était important pour le client. Et la plupart le croyaient.
Tout ce sperme, tous ces poils, tous ces poils dans la gorge et pourtant la tomate avait toujours un goût de tomate, le fromage de fromage, la tomate et le fromage ensemble de tomate et de fromage, même si dans la gorge elle avait toujours des poils. Ça voulait sans doute dire qu'elle était encore vivante...

12 mai 2018

Edgar Hilsenrath

Edgar Hilsenrath a obtenu une reconnaissance tardive. La faute à des romans qui traitent de la Shoah sur un mode plutôt cru. Orgasme à Moscou fut publié en 1979 en Allemagne et seulement en 2013 en France. C'est un roman loufoque, parodie d'un roman d'espionnage, qui met en scène notamment la mafia américaine et son boss Nino Pepperoni.


 Nino Pepperoni buvait à petites gorgées sans quitter son avocat des yeux. Sa moumoute est de travers, pensa-t-il. Sur le sommet du crâne, à la naissance de la raie factice, il y a une tâche visqueuse, ni grise ni blanche, comme un glaviot. Nino Pepperoni réfléchit. Qui s'amuserait à cracher sur la moumoute d'Archibald Seymour Slivovitz ? Absurde. Il doit y avoir une autre explication. Je parie qu'il a sauté sa secrétaire et fourré sa tête entre ses cuisses. C'est clair comme de l'eau de roche : moumoute de travers, tache visqueuse, tout se tient.-
L'Alka-Seltzer commençait à produire son effet. Nino Pepperoni lâcha un rôt tonitruant, Archibald Seymour Slivovitz releva la tête en sursaut.
- Paraît qu'il y a des porcs pervers qui fourrent leur tête entre les cuisses de leurs secrétaires à la recherche de je ne sais quoi, dit Nino Pepperoni.
- Quelque pièce égarée d'un dossier égaré peut-être, dit Mr. Slivovitz.
- Ça m'étonnerait, dit Nino Pepperoni.
Mr. Slivovitz réfléchit.
- Peut-être se cherchent-ils eux-mêmes, finit-il par dire.
- Qu'entendez-vous par là ?
- L'origine du monde ! J'ai lu ça un jour quelque part : l'homme se cherche en la femme.
- Tiens. Je l'ignorais. Je ne lis jamais de livres. Mais pourquoi diable entre ses cuisses ?
- Parce que là se trouve un miroir, dit Mr. Slivovitz. Un miroir invisible.
Nino Pepperoni hocha la tête.
- Les propriétaires de ces miroirs invisibles règnent sur ce monde depuis la nuit des temps, dit Mr. Slivovitz. Pas officiellement, bien sûr...par des voies détournées, mystérieuses.
- Je n'en crois pas un mot, dit Nino Pepperoni.
- Puisque je vous le dis, dit Mr. Slivovitz.
- Ma femme le sait, vous pensez ? demanda Nino Pepperoni.
- Allez savoir, dit Mr. Slivovitz.

7 mai 2018

Charles Bukowski

Le répugnant Charles Bukowski mérite bien une seconde présence en ces lieux, huit ans après une première entrée. Extrait de la nouvelle Le jour où nous avons parlé de James Thurber, publiée dans le recueil des Contes de la folie ordinaire (1967 - 1972). Le brave Charles se fait passer pour André, poète français dont la réputation de French Lover attire les foules.


J'ai enfilé l'un des kimonos d'André et j'ai ouvert.
C'était un jeune type avec une fille. Une de celles qui se trimbalent en mini et talons aiguilles, avec des bas nylon qui prennent bien le cul; L'autre était un gamin efflanqué, genre minet de grand couturier dans son tee-shirt blanc. Il ouvrait la bouche et écartait les bras comme s'il se préparait à décoller.
La fille a demandé :
- André ?
- Non, Charles Bukowski. On m'appelle Hank.
- André, c'est une blague !
- Ouais. Toute ma vie est une blague.
Dehors tombait une petite pluie. Ils attendaient.
- Allez, entrez, vous allez vous tremper.
- Je te reconnais, André ! dit la mignonne. C'est bien tes rides. Dis-donc, tu as au moins deux cents ans !
- Ça va, ça va. Oui c'est moi André. Venez.
Ils apportaient deux bouteilles de vin. Je suis allé chercher le tire-bouchon et les verres à la cuisine, et j'ai servi la tournée. J'étais debout le verre à la main, lorgnant un maximum la paire de jambes, quand le gamin s'est précipité, a ouvert ma braguette et s'est mis à me sucer la queue, dans un grand bruit de gosier. Je lui ai caressé les cheveux et j'ai demandé son nom à la fille.
- Wendy. Tu sais, André, pour moi tu as toujours été un écrivain formidable. A mon avis, l'un des plus grands poètes vivants.
Le gosse continuait sa besogne, il suçait, pompait, sa tête allait et venait comme un drôle d'automate.
- L'un des plus grands poètes... Tiens tiens : et qui sont les autres ?
- Il n'y en a qu'un, dit Wendy. Ezra Pound.
- Ezra m'a toujours rasé.
- C'est vrai ?
- tout ce qu'il y a de plus vrai Ce mec n'est qu'un polar. Super sérieux, super chiadé. En fait, un honnête tâcheron.
- Et pourquoi signes-tu simplement 'André' ?
- Parce que ça me plaît.
Le type y allait vraiment de bon coeur. Je lui ai pris la tête pour le serrer contre moi, et j'ai tout lâché.
J'ai refermé ma braguette et j'ai resservi une tournée.
Je n'ai aucune idée du temps qu'on a passé ensuite, à boire et à faire salon. Wendy avait des jambes superbes et des chevilles très fines qui gigotaient comme si elle avait le eu au derrière. Ces deux-là connaissaient la littérature sur le bout des doigts. On a parlé du Winsburg de Sherwood Anderson, de Dos Passos, Camus, et des familles célèbres, les Brontë, les Dickey, les Crane. De Balzac aussi, et même de James Thurber.



18 mars 2018

Tom Sharpe

Tom Sharpe est le créateur du anti-héros Henry Wilt que l'on retrouve dans cinq romans, à l'humour irrésistible et déjanté, so british. Dès les premières pages du premier livre de la série, Wilt, publié en 1976, le décor est planté, avec en particulier la plantureuse épouse Eva.


Puis il ouvrit la porte et pénétra chez lui.
Il y avait dans l'entrée une odeur bizarre. Une espèce de parfum. A la fois musqué et sucré. Il posa sa sacoche et jeta un regard au salon. Eva était évidemment sortie. Il entra dans la cuisine, mit la bouilloire sur le feu et se tâta le nez. Il se promit de l'examiner en détail dans la glace de la salle de bains. Il était à peu près au milieu de l'escalier et se disait qu'il y avait quelque chose de vraiment méphitique dans ce parfum quand il fut arrêté net dans sa progression. Eva Wilt se tenait sur le seuil de la chambre, vêtue d'un ensemble-pyjama outrageusement jaune avec un pantalon particulièrement acide. Elle avait l'air vraiment moche, et pour couronner le tout fumait une longue cigarette mince dans un long fume-cigarette. Sa bouche était d'un rouge resplendissant.
- Petite queue, murmura-t-elle d'une voix rauque tout en balançant les hanches. Viens un peu par ici. Je vais te sucer les seins et tu me feras jouir avec ta bouche.

1 janv. 2018

Dany Laferrière

Dany Laferrière, membre de l'Académie Française et lauréat du prix Médicis en 2009, a publié son premier roman en 1985 Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer.
Avec une écriture sèche et  minimaliste, l'auteur raconte la vie de deux jeunes noirs de Montréal partagée entre jazz, sexe, et discussions philosophiques.


Sans avertissement, j’éjacule – d’un jet puissant, éclaboussant tout le visage de Miz Littérature. Elle rejette, brusquement, la tête en arrière et j’ai le temps de voir une curieuse lumière au fond de ses yeux. Et elle replonge, bouche ouverte, vers mon pénis comme un piranha. Elle suce. Je grandis. Elle me chevauche. Ce n’est plus une de ces baises innocentes, naïves, végétariennes, dont elle a l’habitude. C’est une baise carnivore. Miz Littérature a commencé par pousser deux ou trois cris stridents. Le vase de pivoines, au-dessus de ma tête, menace à tout moment de nous fendre le crâne. Je fais l’amour au bord du gouffre. Miz Littérature s’est accroupie dans une sale position et elle monte et descend lentement le long de mon zob. Un mât suiffé. Son visage est complètement rejeté en arrière. Ses seins quasiment pointés vers le ciel et un sourire douloureux au coin de sa bouche. Je caresse ses hanches, son torse en sueur et la pointe exacerbée de ses seins. Elle se met tout à coup à me lancer de rapides et violentes saccades et un son rauque lui monte à la bouche.
- Baise-moi !